vendredi 3 décembre 2010

Taxer les millionnaires?

30 novembre 2010

Carnet de Gérald Fillion à Radio-Canada


Selon le World Wealth Report 2010, il y a 10 millions de millionnaires dans le monde, dont près de 3 millions aux États-Unis. Leur fortune est évaluée à 39 000 milliards de dollars. Imaginez si on décidait d'augmenter le taux d'imposition de tous les millionnaires du monde. Un pour cent de 39 000 milliards, c'est 390 milliards de dollars. Deux pour cent, c'est 780 milliards de dollars.

Non, mais! On en réglerait-tu des problèmes avec une taxe mondiale de 1 % ou 2 % sur la fortune totale des millionnaires de la planète! Ce n'est pas une suggestion ou une idée de ma part, c'est simplement un calcul inspiré de la proposition de 45 millionnaires américains qui proposent au président Obama et au Congrès - il sera bientôt majoritairement républicain - d'augmenter leurs impôts.

Ce qu'ils proposent est simple : considérant que nous sommes de riches Américains, que notre gouvernement est terriblement endetté et que notre économie a du mal à redémarrer, allez donc chercher l'argent là où il est.

Ces 45 millionnaires ont donc lancé une pétition pour demander au gouvernement d'abandonner les allègements fiscaux accordés depuis 2001 aux contribuables dont les revenus annuels excèdent le million de dollars. Parmi eux, se trouvent Ben Cohen, fondateur des crèmes glacées Ben & Jerry's, le directeur de fonds spéculatifs Michael Steinhardt, le chanteur Moby et Philippe Villers, homme d'affaires d'origine française qui est le fondateur de Computervision.

Les milliardaires Bill Gates et Warren Buffet ont exprimé des points de vue favorables à l'abandon des baisses d'impôts pour les plus riches octroyées par le président Bush en 2001.

Il est facile de demander aux plus riches de payer plus d'impôts. C'est une idée simple, et à l'époque du simplisme, ça fait un bon effet! Fondamentalement toutefois, à gauche, on croit que les riches sont capables d'en faire plus. Et, à droite, on affirme que les riches contribuent déjà à leur juste part et qu'il serait exagéré de leur en demander davantage. Selon The Tax Foundation à Washington, les 1 % les plus riches ont un fardeau fiscal plus lourd que les 95 % les moins riches.

Cela dit, 10 millions de millionnaires sur la planète, c'est 0,15 % de la population mondiale qui détient l'équivalent de 67 % du PIB mondial. Et, à cette époque où le G20, l'UE, le FMI et la Banque centrale d'Europe, sans oublier le gouvernement canadien et quantité d'autres gouvernements, militent en faveur de la mise en place de plans d'austérité importants, la proposition des 45 millionnaires américains ne devrait-elle pas être prise plus au sérieux par les dirigeants américains?

Pour réduire l'incroyable déficit américain (il est de plus de 1000 milliards de dollars cette année), est-ce qu'une augmentation des impôts des plus riches devrait faire partie des solutions que les républicains au Congrès devraient approuver?

Est-ce que cette idée devrait faire son chemin ailleurs dans le monde, y compris chez nous, particulièrement au Québec, où nombre d'économistes et de gens d'affaires se disent inquiets du niveau de la dette publique? Est-ce que les dirigeants du G20 devraient étudier l'idée d'une taxe harmonisée sur les fortunes millionnaires pour ne pas désavantager les pays du monde qui seraient tentés d'augmenter ces impôts, mais qui seraient inquiets de perdre un peu de leur compétitivité?

jeudi 25 novembre 2010

Article de Rue Frontenac

Frais de scolarité - Les étudiants britanniques descendent dans la rue PDF Imprimer Envoyer
Nouvelles générales - International
Écrit par RueFrontenac.com
Mercredi, 24 novembre 2010 12:34

Les étudiants Québécois ne sont pas les seuls à s’élever contre les frais de scolarité. Leurs camarades britanniques sont descendus mercredi par milliers dans les rues de Londres et d’autres villes du pays pour protester contre des hausses importantes des frais qui leur sont exigés pour fréquenter l’université. Des marches, des protestations, des discours ont eu lieu dans différents établissements universitaires du pays, notamment à Manchester, Liverpool, Sheffield, Bristol, Southampton, Oxford, Cambridge, Leeds, Newcastle, Bournemouth, Cardiff et Glasgow.

Ces manifestations surviennent près de deux semaines après d’autres événements du genre qui s’étaient terminés dans la violence. Près de 50 000 personnes s’étaient présentées lors de ces rassemblements populaires.

La police a déjà prévenu les manifestants qu’elle n’hésitera pas à procéder à des arrestations si ceux-ci deviennent violents.

Le gouvernement britannique a provoqué la colère des étudiants après avoir annoncé que les frais d’inscription dans les universités britanniques passeraient de 3290 livres (5285$) à 6000 livres, soit près de 10 000$ canadiens. Dans certaines circonstances, les frais réclamés pourraient même atteindre 9000 livres, soit près de 15 000$.

vendredi 12 novembre 2010

Ce que les révélations de Wikileaks ne révèlent pas

Kamil Mahdi

Les révélations de Wikileaks fournissent un aperçu supplémentaire de la destruction mise en oeuvre en Irak par la guerre et l'occupation. Ces fuites montrent également comment d’une part, les pertes de vies irakiennes ont été sérieusement minimisées et comment d’autre part, la cruauté américaine et britannique ont été très peu couverte par les médias. Mais, selon Kamil Mahdi, les documents ne donnent toujours pas une image complète de la dévastation qui a été infligée à l'Irak et à sa population.

Pour les Irakiens, le nouveau lot de carnets de route militaires US révélés confirme seulement leurs expériences vécues de la brutalité de l'occupation américano-britannique dans leur pays.


Les violences et les abus, pour la plupart gratuits, commis par les troupes US étaient et restent, dans une moindre mesure, une expérience quotidienne pour les Irakiens.


Cette culture de la violence et de l'abus va de pair avec une pratique militaire qui n'accorde pratiquement aucune valeur à la vie des Irakiens, y compris celle des civils.


Les documents révélés et rapportés montrent le faible intérêt bureaucratique pour la violence de l'occupation au quotidien. Sans aucun doute, les révélations montrent à quel point les forces d’occupation sont responsables d’une bonne partie (voir plus) des violences en Irak. En tant qu'auteurs de ces violences ou en tant que spectateurs des violences commises par les unités locales que l'occupation a entretenue et qu'elle continue à protéger, soutenir, entraîner et guider.


Les atrocités nouvellement rapportées soulignent encore plus la responsabilité générale des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, ainsi que celle de leurs alliés politiques locaux, dans le climat de chaos et de violence résultant de l'invasion et de l'occupation de l’Irak. En témoignent la myriade d'échecs dans l'approvisionnement de sécurité de base, de services indispensables, de régénération économique, et d'un cadre constitutionnel et administratif permettant d'en finir avec la crise de la société irakienne.


Les abus rapportés dans ces révélations, en plus de tous les crimes US et britanniques déjà connus, doivent servir de rappel : les éléments de violence communautaire (par opposition au régime de répression et de terreur) expérimentés en Irak ces dernières années résultent de l'occupation elle-même.


L'occupation et la destruction de l'Etat a poussé les Irakiens à chercher la protection au sein de leurs communautés. Et les nouvelles institutions établies ont été essentiellement construites sur base d'identités sectaires et ethniques. Les carnets de bords montrent que les forces d'occupation, au lieu d'enquêter sur les abus, de chercher à en punir les auteurs et de protéger les citoyens, ont terrorisé la population irakienne et donné du pouvoir aux intégristes. L'occupation a acquiescé aux déplacements massifs de population, et procédé à la construction de murs de béton pour séparer les communautés, même sans approbation préalable du gouvernement irakien. L’occupation a de ce fait créé un environnement hostile à des forces politiques démocratiques et nationalistes. Ce sont là les racines du processus sectaire politique hésitant ainsi que le fond de la répression grandissante et du comportement violent des nouvelles forces de sécurité irakiennes qui opèrent aux côtés des troupes américaines.

Les escadrons de la mort

Ce que ces révélations n'ont pas encore dévoilé cependant, ce sont les détails des opérations des escadrons de la mort qui ont été responsables du meurtre de dizaines de milliers d'Irakiens. Des meurtres perpétrés simplement sur base d'identités communautaires et qui pèsent lourd dans l'issue politique et sociale actuelle du pays.


Ces révélations ne montrent pas non plus l'identité de ces escadrons de la mort organisés. Wikileaks ne révèle pas non plus les liens avec les Forces spéciales US qui continuent d'opérer en Irak et qui, par le passé, ont été impliquées avec des escadrons de la mort ailleurs dans le monde.


Les activités des mercenaires, les soi-disant « contractuels de sécurité », ne figurent pas non plus jusqu'ici dans les rapports de ces révélations.


En d'autres termes, ces documents révélés ne peuvent pas montrer une image complète de la violence et de la manière avec laquelle elle a été utilisée à des fins politiques et économiques.


Cependant ils fournissent un plus grand aperçu de la destruction mise en œuvre en Irak par l'occupation. Ils révèlent que les statistiques officielles et les comptes basés sur les données des médias concernant le nombre de victimes irakiennes, tels que l’Irak Body Count, ont sérieusement minimisés la véritable étendue des pertes humaines, et que les médias étrangers ont sérieusement sous-exposé l'étendue et la cruauté de la violence US et britannique à l'encontre des Irakiens.


Les révélations montrent la faible valeur accordée aux vies irakiennes dans cette soi-disant Operation Iraqi Freedom. Et beaucoup d'Irakiens feront la comparaison entre la destruction militaire injustifiée de vies irakiennes d’une part, et la récente décision du gouvernement irakien, dépendant des Etats-Unis, de dédommager pour un total de 400 millions de dollars une petite douzaine de citoyens américains qui ont souffert d'atteintes relativement mineures à leurs libertés sous l'ancien régime Saddam en 90 et 91.


Le gouvernement irakien de Nouri al-Maliki a protesté : les révélations de Wikileaks sont politiquement motivées et servent à embarrasser l'actuel premier ministre intérimaire lui-même, ainsi qu’à détruire ses chances de rester au poste. Si c'était le cas, l'opportunité aurait dû être saisie il y a quelques mois, avant que Maliki ait acquis de la force pour rester en place au moment où il a procédé à la mise en œuvre de contrats pétroliers qui sapent la souveraineté irakienne sur ses ressources, et au moment où il a développé un soutien régional et international pour sa candidature en accordant plus de concessions aux Etats-Unis et à leurs alliés locaux les plus proches.


Les révélations montrent très clairement qu'il y a très peu de surveillance judiciaire des nouvelles forces de sécurité irakiennes qui s'adonnent à la torture, aux mauvais traitements et aux meurtres. Bien que ceci ne soit pas vraiment une révélation pour les Irakiens qui subissent ces abus, cela met la lumière sur la question de l'indépendance, par opposition au contrôle politique des forces internes de sécurité. Cette question est une de celles qui perturbent la formation d'un nouveau gouvernement, alors que les élections ont eu lieu il y a plus de 7 mois.


Cependant, le problème principal en Irak reste que les Etats-Unis continuent de s'insinuer eux-mêmes dans les affaires irakiennes internes au travers d'accords iniques et par d'autres moyens. Personne ne peut faire confiance à l'indépendance politique des forces de sécurité alors même qu'il reste des milliers de troupes US dans ce pays qu'ils ont occupé et abusé.

Traduit de l'anglais par Elise Broyard pour Investig'Action
Source originale : stopwar

dimanche 7 novembre 2010

Avignon , 6 novembre, la manif la plus speed depuis 1968 ?

Source : http://paris.indymedia.org/

Avignon, 6 novembre tout le monde s'attendait à l'enterrement du mouvement et à la manif la plus planplan de l'année. et bien non, manif sauvage, confrontation avec des CRS débordés, gazage et tabassage de manifestants allaient être au programme !

Tout débute à 14 h à la gare à l'appel de l'intersyndical, tout au plus un millier de personnes sont rassemblés au départ de la manif (les syndicats avaient annoncé 20 000 manifestants lors de la dernière journée). Puis le cortège s'ébranle et se met à grossir superbement. Combien de manifestants à l'arrivée devant le Pont d'Avignon ? Plusieurs milliers mais en tout cas bien plus que les pronostiqueurs de tout poils ne l'avaient prédit. Première surprise.

Puis, à la fin des traditionnelles prises de paroles, une personne (peut-être de SUD) appelle les manifestants à se rendre au Palais des papes (en centre-ville) où s'achève le « Forum d'Avignon » (« rencontres internationales de la culture, de l'économie et des médias ») en présence de toutes les crapules cultureuses imaginables et de leur ministre Frédéric Mitterrand . C'est environ un millier de manifestants qui vers 16h converge vers le lieu par petits groupes, sans étiquettes ou syndicalistes (CGT ou SUD).

Le secteur en question est verrouillé par un imposant dispositif de CRS et gardes mobiles. Un premier petit groupe de manifestants (SUD, CGT ou sans étiquette) cherche à rejoindre la place du Palais des Papes par une ruelle/escalier mais se trouve face à un léger barrage de gardes mobiles. et repousse alors ces derniers pour passer.. Les militaires ripostent par des tirs de grenades lacrymo et un viril matraquage (qui voit un manifestant repartir la tête en sang) et reprennent la rue .

D'autres groupes, profitant d'un labyrinthe de ruelles, réussissent à déjouer le dispositif policier pour accéder à la Place du Palais ; ils sont bientôt plusieurs centaines à s'y installer. D'autres centaines de manifestants, dans les deux principales rues d'accès à la place font face à des cordons de gardes mobiles débordés par la situation. Pendant plus d'une heure.

Les nombreux participants au Forum de la culture ayant fini leur champagne et devant prendre un TGV pour retourner sur Paris, des renforts de CRS sont dépêchés sur la place pour libérer le passage des berlines avec chauffeur qui attendent. Les manifestants présents sur la place sont gazés, bousculés et matraqués. Les rumeurs parlent de deux arrestations (dont un relaché peu après).

Puis vient le tour des participants du forum de seconde zone (sans berline avec chauffeur) se regroupant dans des cars et minibus sous les sifflets et huées des manifestants. qui bloquent ensuite le départ des véhicules vers la gare TGV. Nouvelle intervention des CRS qui repoussent les trouble-fêtes avec leurs boucliers.

Puis c'est le préfet du Vaucluse, en grand uniforme et escorté de flics de la DCRI et de la BAC, qui veut se frayer un passage pour rejoindre la préfecture distante de 300 m. Les manifestants, l'ayant repéré, accourent et l'insultent. C'est quoi son nom déjà ? « Enculé ! » me répond un responsable cégétiste (un peu homophobe mais bon.). Les CRS doivent speeder pour assurer sa protection jusqu'à la préfecture.

A ce moment-là tout devient très confus et en plus il commence à faire nuit (il est plus de 18 h). Les CRS amorcent un mouvement sur la place de l'Horloge où sont massés les manifestants et se rassemblent devant des camions situés sur une rue perpendiculaire (rue Favart). Personne ne
comprend ce qu'ils vont faire, mais environ deux cents manifestants se rassemblent devant les fourgons ; on trouve beaucoup moins de syndicalistes badgés, plus de sans étiquettes, mais aussi pas mal de jeunes lascars qui trainaient sur la rue de la République : tout le monde gueule « police partout, justice nulle part ! », « Libérez Avignon ! » mais surtout un vibrant et répétitif « cassez-vous ! ». En fait les CRS s'étaient rassemblés à cet endroit pour décrocher de la place ; une haie de bouclier doit se déployer pour faire un passage aux fourgons qui se replient sous les insultes, huées, sifflets et jets de quelques projectiles de fortune. Dernier « incident » lorsqu'une manifestante ouvre la porte du dernier camion (logistique) des flics ; les CRS gazent alors pour se dégager mais sont talonnés un bon moment par les manifestants hurlant « cassez-vous ! ». Victoire non militaire mais au moins morale si ce n'est politique.

Bref, du jamais vu pour une petite ville paisible comme Avignon ! La lutte continue ! Pas de retraite à l'attaque !

vendredi 5 novembre 2010

Le dissident cubain Guillermo Fariñas et le Prix Sakharov du Parlement européen

Salim Lamrani

Le 21 octobre 2010, le Parlement européen a annoncé le nom du lauréat 2010 du Prix Sakharov « pour la liberté de l’esprit », et l’a attribué au dissident cubain Guillermo Fariñas Hernández. Selon l’institution européenne, ce dernier s’inscrit « dans une longue lignée de dissidents, défenseurs de droits de l’homme et de la liberté de pensée ». Le président du Parlement Jerzy Buzek a noté que l’opposant au gouvernement de La Havane « a été prêt à risquer sa santé et sa vie pour faire changer les choses à Cuba ». Il s’agit de la troisième fois en neuf ans qu’un opposant cubain reçoit cette distinction, après Les Dames en blanc en 2005 et Oswaldo Payá en 20021.

Il convient de revenir sur le parcours personnel de Guillermo Fariñas et son entrée dans le monde de la dissidence à Cuba, avant d’évoquer la politisation du Prix Shakarov.

Guillermo Fariñas

Né le 3 janvier 1962, Guillermo Fariñas est un ancien soldat ayant servi en Angola en 1981, dans la lutte pour l’indépendance de la nation africaine et contre le régime raciste d’Afrique du Sud. Il a longtemps été un fervent admirateur du processus révolutionnaire, et son père avait participé à la lutte contre la dictature de Fulgencio Batista aux côtés de Fidel Castro. Suite à la chute du Mur de Berlin en 1989 et à l’apparition des premières difficultés économiques à Cuba, il a alors abandonné les Jeunesses communistes, sans pour autant prendre une position politique contraire au gouvernement de Havane2.

Ce n’est qu’en 2003 qu’il effectue un virage idéologique à 180 degrés et tourne le dos aux idées qu’il avait auparavant défendues. Il intègre alors la dissidence et fonde l’agence de presse Cubanancan Press, financée par « des Cubains-américains anticastristes », selon l’agence étasunienne Associated Press3. Le Parlement européen signale qu’il est « partisan de la non-violence » et qu’il a mené « pas moins de 23 grèves de la faim pour attirer l’attention sur l’oppression des dissidents cubains et réclamer la liberté d’accès à Internet ». Il souligne également qu’il a passé onze ans en prison – en réalité neuf ans, mais n’a servi qu’un peu plus d’un an –, sans pour autant dévoiler les raisons de ses différentes condamnations4.

A aucun moment, l’entité européenne n’affirme que ses séjours en prison sont dus à son activité politique pour la simple raison que ses incarcérations sont dues à des délits de droit commun. La discrétion du Parlement européen au sujet du casier judiciaire de Fariñas est compréhensible, car ses actes délictueux mettent à mal l’affirmation du caractère « non-violent » du Prix Sakharov 20105.

En effet, Fariñas dispose d’un casier judiciaire chargé. En 1995, il avait été condamné à trois ans de prison avec sursis et à une amende de 600 pesos après avoir violemment agressé une femme, collègue de travail de l’institut de santé dans lequel il occupait un poste de psychologue, lui occasionnant de multiples blessures au visage et aux bras. Il réalisa alors sa première grève de la faim6.

En 2002, dans la ville de Santa Clara, dans la province de Las Villas, Fariñas avait agressé une personne âgée avec un bâton. Cette dernière, sérieusement touchée, fut transportée d’urgence à l’hôpital où elle dut subir une ablation de rate. Suite à ce délit, il fut condamné à cinq ans et dix mois de prison. Il observa de nouveau une grève de la faim et bénéficia d’une mesure de liberté surveillée le 5 décembre 2003 pour des raisons de santé7.

A ce sujet, l’agence de presse espagnole EFE se contente de déclarer qu’il avait été condamné « pour les délits de désordre public et agression », sans fournir de détails8. Pour sa part, Associated Press se fait plus explicite et rapporte que « certains de ses ennuis judiciaires sont dus à l’agression d’une collègue de travail et autres comportements violents9 ».

En 2005, Fariñas entama une nouvelle grève de la faim, exigeant de l’Etat cubain que lui soit installé un accès Internet à son domicile. Il fréquenta la représentation diplomatique étasunienne de La Havane, la Section d’intérêts nord-américains, laquelle finance ses activités. Il reconnaît aisément cette réalité. Le quotidien français Libération note que « Fariñas n’a jamais nié avoir reçu des ‘dons’ de la Section des intérêts américains pour se procurer un ordinateur et exercer son métier de ‘journaliste indépendant’ sur Internet10 ».

Mais Guillermo Fariñas a réellement été médiatisé à partir du 24 février 2010 lorsqu’il a entamé, à son domicile, une grève de la faim, qui a duré jusqu’au 8 juillet 2010, afin d’exiger la libération de ceux qu’il qualifie de « prisonniers d’opinion », en référence aux opposants condamnés pour avoir accepté le financement des Etats-Unis11. D’ailleurs, à ce sujet, l’Agence étasunienne pour le développement international (USAID), dépendante du gouvernement fédéral, admet financer l’opposition cubaine. Selon l’Agence, pour l’année fiscale 2009, le montant de l’aide destinée aux dissidents cubains s’élevait à 15,62 millions de dollars. « La grande majorité de cette somme est destinée à des individus se trouvant à Cuba. Notre but est de maximiser le montant du soutien dont bénéficient les Cubains dans l’île12 ».

L’organisation gouvernementale souligne également le point suivant : « Nous avons formé des centaines de journalistes sur une période de dix ans dont le travail est apparu dans de grands médias internationaux ». Cette déclaration met à mal les affirmations sur le caractère indépendant des « journalistes opposants » à Cuba. Ayant été formés et stipendiés par les Etats-Unis, ils répondent avant tout aux intérêts de Washington, dont le but est, comme le signalent les documents officiels du Département d’Etat », un « changement de régime » dans l’île13.

D’un point de vue juridique, cette réalité place de fait les dissidents qui acceptent les émoluments offerts par l’USAID dans la situation d’agents au service d’une puissance étrangère, ce qui constitue une grave violation du code pénal à Cuba, mais également dans n’importe quel pays du monde. Interrogée à ce sujet, l’Agence se contente de rappeler que « personne n’est obligé d’accepter ou de prendre part aux programmes du gouvernement des Etats-Unis14 ».

La dernière protestation de Fariñas avait gravement affecté son état de santé et il n’a dû sa survie qu’aux soins médicaux qui lui ont été prodigués par les autorités cubaines. Reconnaissant, il n’a d’ailleurs pas manqué d’exprimer sa gratitude à l’équipe médicale qui s’est occupée de lui, lors d’une interview concédée à la télévision espagnole alors qu’il se trouvait à l’hôpital15.

Guillermo Fariñas n’a jamais eu de problèmes à exprimer son opinion à l’égard du gouvernement cubain. Il a joui à cet égard d’une liberté d’expression totale. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un œil à ses déclarations émises durant sa dernière grève de la faim16. Durant son séjour à l’hôpital, il a régulièrement accordé des entretiens à la presse occidentale, s’en prenant virulemment aux autorités de l’île. Voici quelques extraits d’une interview accordée à Reporters sans frontières le 8 avril 2010 : « Le régime castriste est totalement rétrograde, archaïque, avec un manque de flexibilité, d’humanité, avec une cruauté marquée qui laisse mourir publiquement ses opposants ». Fariñas n’hésite pas à faire référence au « régime totalitaire cubain » et dénonce sans problème « les cruautés, les abus et les tortures » qui seraient commis dans l’île 17.

Fariñas n’est pas exempt de certaines contradictions. Alors qu’il se montre très critique du système cubain et compare la vie dans l’île à un enfer, il refuse d’émigrer malgré une proposition d’accueil de la part de l’Espagne18. Il est en effet curieux de refuser de vivre dans la neuvième puissance économique mondiale et de préférer rester dans un petit pays du Tiers-monde, en proie à des difficultés économiques indéniables, aggravées par l’embargo imposé par les Etats-Unis et par la crise mondiale. Il y a une raison à cela. En partant à l’étranger, Fariñas ne recevrait plus aucune aide financière ni des Etats-Unis ni de l’Union européenne.

La politisation du Prix Sakharov

Le Parlement européen a choisi, pour la troisième fois en neuf ans, un dissident cubain pour le Prix Shakarov, malgré la qualité des deux autres prétendants, l’ONG israélienne Breaking the Silence et l’opposante éthiopienne Birtukan Mideksa19.

Breaking the Silence a été créé en 2004 par des soldats israéliens et des anciens combattants et « montre au public israélien la réalité de l’occupation israélienne vue à travers les yeux des soldats. Elle participe au débat sur l’impact de l’occupation prolongée des territoires palestiniens », selon le Parlement. Quant à Birtukan Mideksa, il s’agit d’une femme politique et ancienne juge éthiopienne, leader de l’opposition, condamnée à la prison à vie en 2008, pour avoir dénoncé l’emprisonnement des opposants dans son pays, puis libérée en octobre 201020.

Il ne s’agit pas de critiquer Guillermo Fariñas pour son action. Il faut en effet une certaine dose de courage personnel pour risquer sa vie en observant une grève de la faim. Néanmoins, le choix du Parlement européen est discutable dans la mesure où il intègre d’abord et avant tout des paramètres politiques. En effet, dominé par la droite, le fait de récompenser une nouvelle fois l’opposition cubaine au détriment de toutes les personnes qui risquent véritablement leur vie à travers le monde pour défendre la cause des droits de l’homme et des libertés, ne peut être le fruit du hasard21.

De plus, cette distinction intervient alors que le gouvernement cubain a procédé à la libération de la quasi-totalité des prisonniers dits « politiques » recensés par Amnistie Internationale. Les treize restants, après la libération de 39 personnes depuis juillet 2010, seront libérés avant la fin du mois de novembre 2010, selon l’accord passé entre La Havane et l’Eglise catholique cubaine22. On ne peut que constater que la décision du Parlement repose surtout sur des critères idéologiques et jette une ombre sur la crédibilité des objectifs officiels du Prix Sakharov, à savoir la défense des droits de l’homme.

Certains parlementaires européens ont critiqué cette décision, prise en comité restreint à huis clos lors de la Conférence des Présidents, en non en séance plénière en présence de tous les députés. L’eurodéputé espagnol Willy Meyer du groupe Izquierda Unida a regretté « l’option idéologique [prise par le Parlement] qui n’a rien à voir avec la défense des droits de l’homme dans le monde entier, à une époque de guerres et de graves problèmes où des milliers de militants des droits humains sont poursuivis dans le monde, et que leur travail n’est pas reconnu ou est occulté23 ». De son côté, María Múñiz, porte-parole des socialistes espagnols à la Commission des Affaires étrangères du Parlement, a regretté que les autres candidats aient été négligés et que la « progressive libération des prisonniers cubains dissidents » n’ait pas été prise en compte24.

Conclusion

Guillermo Fariñas a choisi, comme les opposants cubains médiatisés par la presse occidentale, de vivre de l’activité dissidente, car elle offre des perspectives financières indéniables et un niveau de vie bien supérieur à celui des Cubains dans un contexte marqué par des difficultés économiques et les pénuries matérielles. Le Prix Sakharov n’est pas uniquement une distinction honorifique. Il s’agit également d’une forte rétribution économique de 50 000 euros. Cela représente une somme considérable, surtout pour les Cubains, quand on sait la réalité du système social dans l’île. En guise d’exemple, Fariñas n’a pas eu à débourser le moindre centime pour son hospitalisation de plusieurs mois, est propriétaire de son logement comme 85% des Cubains et bénéficie du carnet de rationnement qui lui permet d’obtenir gratuitement des produits alimentaires.

Guillermo Fariñas a parfaitement le droit d’exprimer ouvertement son désaccord avec un système politique qu’il a défendu jusqu’à l’âge de trente ans. Il ne doit pas être critiqué pour cela. Ses antécédents judiciaires ne doivent pas non plus être occultés. Néanmoins, il est difficile de croire, au vu des puissants intérêts politiques et médiatiques occidentaux qui le soutiennent, que son action est réellement indépendante et uniquement axée sur la question des droits de l’homme. En acceptant les émoluments de la part de Washington – qui finance publiquement les opposants cubains –, il se met au service d’une politique destinée à renverser le gouvernement cubain.

Notes

1 Parlement européen, « Gros plan sur les droits de l’homme : le Prix Sakharov 2010 », 21 octobre 2010. http://www.europarl.europa.eu/news/public/focus_page/015-84708-274-10-40-902-20101001FCS84570-01-10-2010-2010/default_p001c004_fr.htm (site consulté le 26 octobre 2010).

2 Ibid. ; EFE, « Fariñas, el rostro de la huelga de hambre or los presos políticos cubanos », 21 octobre 2010.

3 Associated Press, « EU Rights Prize for Cuban Dissident Farinas », 21 octobre 2010.

4 Parlement européen, « Gros plan sur les droits de l’homme : le Prix Sakharov 2010 », op. cit.

5 Ibid.

6 Alberto Núñez Betancourt, « Cuba no acepta presiones ni chantajes », Granma, 8 mars 2010.

7 Alberto Núñez Betancourt, « Cuba no acepta presiones ni chantajes », op. cit

8. EFE, « Fariñas, el rostro de la huelga de hambre or los presos políticos cubanos », op. cit.

9 Associated Press, « EU Rights Prize for Cuban Dissident Farinas », 21 octobre 2010.

10 Félix Rousseau, « Fariñas, épine dans le pied de Raúl Castro », Libération, 17 mars 2010.

11 Salim Lamrani, Cuba. Ce que les médias ne vous diront jamais. Paris, Editions Estrella, 2009, p. 79-105.

12 Along the Malecon, « Exclusive : Q & A with USAID », 25 octobre 2010. http://alongthemalecon.blogspot.com/2010/10/exclusive-q-with-usaid.html (site consulté le 26 octobre 2010).

13 Ibid.

14 Ibid.

15 59 segundos, « Cuba », 12 avril 2010. http://www.youtube.com/watch?v=RRxzicTmWz8 (site consulté le 26 octobre 2010).

16 Mauricio Vicent, « ‘Hay momentos en la historia en que tiene que haber mártires’ », El País, 2 mars 2010.

17 Reporters sans frontières, « Interview de guillermo Fariñas », 8 avril 2010. http://fr.rsf.org/interview-de-guillermo-farinas-08-04-2010,37147.html (site consulté le 26 octobre 2010)

18 Juan O. Tamayo, « Fariñas no acepta la oferta de recuperarse en España », 30 mars 2010.

19 Parlement européen, « Présentation des trois finalistes 2010 », 1er octobre 2010. http://www.europarl.europa.eu/news/public/focus_page/015-84708-274-10-40-902-20101001FCS84570-01-10-2010-2010/default_p001c003_fr.htm (site consulté le 26 octobre 2010).

20 Ibid.

21 Agence France Presse, « Los tres premios Sajarov de la oposición cubana », 21 octobre 2010.

22 EFE, « Damas instan al gobierno a cumplir plazo de excarcelaciones », 25 octobre 2010 : Andrea Rodriguez, « Anuncian liberación de presos no incluidos en acuerdo », 10 octobre 2010.

23 Willy Meyer, « El premio Sajarov queda hoy tocado del ala », Izquierda Unida, 21 octobre 2010. http://www1.izquierda-unida.es/node/7945 (site consulté le 27 octobre 2010).

24 Associated Press, « División de opiniones en España tras premio europeo a cubano Fariñas », 21 octobre 2010.

Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est enseignant chargé de cours à l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, et l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis et journaliste français, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Son nouvel ouvrage s’intitule Cuba. Ce que les médias ne vous diront jamais (Paris : Editions Estrella, 2009).

vendredi 29 octobre 2010

Mineurs chiliens : que cachait le show télé ?

Camila Campusano, Michel Collon
www.michelcollon.info
Nous étions près d’un milliard à être bouleversés. Pour sauver 33 mineurs chiliens, tout un peuple, patrons et travailleurs, riches et pauvres tous réunis dans un même effort, président en tête. Emotion, suspense, audimat, énormes recettes publicitaires. Mais que cachait ce show télévisuel ?

Que les « sauveurs » étaient en fait les coupables. Trois heures avant l’éboulement, les mineurs de San José avaient demandé à pouvoir sortir, suite à des bruits suspects. Le refus de leurs supérieurs les a emprisonnés sous des tonnes de terre. Surprenant ? Non, le 30 juillet, un rapport du ministère du Travail signalait d’importants problèmes de sécurité à la mine de San José. Sans suite, le ministre étant resté muet.

Tout le monde s’est évidemment réjoui du happy end. Mais le show du sauvetage a occulté l’ampleur du problème : quatre cents mineurs chiliens sont morts ces dix dernières années. Et surtout les causes : « Faiblesses des investissements et des normes de sécurité », a indiqué Marco Enriquez-Ominami, l’adversaire de Sebastián Piñera aux dernières élections présidentielles. En effet, pour la seule année 2009, le Chili a enregistré 191.000 accidents de travail qui ont tué 443 travailleurs. Et c’est l’Etat chilien qui en est directement responsable, car depuis douze ans, il a refusé de ratifier la Convention 176 de l’Organisation Internationale du Travail sur la sécurité et la santé dans les mines. Les entreprises ont toutes les libertés, les travailleurs aucun droit.

Derrière le sauveur, se cache le milliardaire

Il était sur tous les écrans, en permanence : chef d’Etat souriant, concentré, soucieux de ses citoyens. Un peu trop lisse, cette image d’Epinal ? Qui est réellement Sebastián Piñera, élu président en 2009 avec 51,61% des suffrages ?

A 61 ans, il possède 1,2 milliard de dollars, ce qui en fait la 701ème fortune mondiale selon la revue Forbes. Cette fortune, il l’a bâtie grâce aux mesures prises par la sanglante dictature militaire de Pinochet (1973-1990). Le Chili de cette époque incarnait le laboratoire du néolibéralisme impulsé par ces économistes extrémistes qu’on avait surnommé les Chicago Boys. De ces privatisations, Piñera a su profiter en faisant main basse sur le secteur des cartes de crédit.

Surnommé « le Silvio Berlusconi latino-américain », Piñera possède actuellement Chilevision, une des grandes chaînes télé du pays, et Colo Colo, une des principales équipes de football. Il est également actif dans la distribution, l’industrie minière et pharmaceutique. En accédant au poste de président, il a été obligé de vendre ses parts de la compagnie aérienne Lan Chile (il était l’actionnaire majoritaire). Double casquette donc : chef d’Etat et puissant homme d’affaires. Interpellé sur cette confusion des rôles par le journal argentin Clarín, il a répondu : « Seuls les morts et les saints n’ont pas de conflits d’intérêts ».

Un saint, Piñera ne l’est certes pas. Monica Madariaga, ministre de la Justice pendant la dictature militaire, a reconnu avoir fait pression sur des juges, à l’époque où Piñera était gérant d’une banque. La fraude se serait élevée à près de 240 millions de dollars. En 2007, Piñera a aussi été condamné pour délit d’initié par l’autorité des marchés financiers suite à l’achat des actions de Lan Chile. Comme disait le grand écrivain français Honoré de Balzac, « derrière chaque grande fortune se cache un crime ». Celle de Piñera a la couleur du sang des victimes de la dictature.

En cachant son passé, en le présentant comme un ami du peuple, le show télévisuel sur la mine de San José a fourni à Piñera une véritable opportunité politique. Avec son casque jaune, il a grimpé dans les sondages. La droite chilienne, qui n’osait plus se montrer après la dictature, a pu redorer son blason.

Piñera, la victoire posthume de Pinochet et des USA

Malgré ces scandales, Sebastián Piñera sait se valoriser. Sa campagne électorale a mis en avant son « amour pour la démocratie » et son vote contre le maintien de Pinochet au pouvoir lors du plébiscite de 1988. Il est ainsi parvenu à se faire élire sur base de son image de « l’homme qui a tout réussi ». Comme si faire fortune impliquait une bonne gestion de l’Etat. Au contraire : sa fortune s’est justement construite en affaiblissant la collectivité.

Et il s’apprête à continuer. Cet admirateur de Nicolas Sarkozy entend privatiser les propriétés de l’Etat, sous prétexte de couvrir les pertes provoquées par le grand tremblement de terre de février 2010. Il s’agirait de vendre au privé 40% de Codelco (n° 1 du cuivre) ainsi qu’une autre entreprise minière Cimm T&S. Cela prend tout son sens quand on sait que le Chili est le premier exportateur mondial de cuivre. Il faut savoir que certaines multinationales des Etats-Unis ont commis les pires crimes pour conserver le contrôle de ces richesses.

En 1970, un gouvernement progressiste, dirigé par Salvador Allende, avait entrepris de développer le Chili et de sortir sa population de la pauvreté. Pour ce faire, le pays devait récupérer le contrôle de sa principale richesse : le cuivre. En obtenir un prix plus correct et affecter ces revenus aux besoins pressants de la population. Aussitôt, les Etats-Unis se sont déchaînés : blocus financier, déstabilisation par la CIA, actions terroristes, chantages en tous genres... Jusqu’au coup d’Etat militaire et à l’instauration de la dictature fasciste d’Augusto Pinochet. Des milliers de victimes, toute une génération progressiste massacrée ou exilée.

Dans son discours à l’ONU, en décembre 1972, soit quelques mois avant son assassinat, le président Allende décrit le pillage de son pays par les multinationales US du cuivre, Anaconda Company et Kennecott Copper Corporation : « Les mêmes firmes qui ont exploité le cuivre chilien durant de nombreuses années ont réalisé plus de quatre milliards de dollars de bénéfices au cours des quarante-deux dernières années, alors que leurs investissements initiaux avaient été inférieurs à trente millions de dollars. Un exemple simple et pénible, un contraste flagrant : dans mon pays, il y a six cent mille enfants qui ne pourront jamais profiter de la vie dans des conditions humaines normales parce que durant les huit premiers mois de leur existence, ils ont été privés de la quantité indispensable de protéines. Mon pays, le Chili, aurait été totalement transformé avec ces quatre milliards de dollars. Une infime partie de ce montant suffirait à assurer une fois pour toutes des protéines à tous les enfants de mon pays. » La victoire électorale de Piñera, c’est au fond la victoire posthume de la dictature, le retour au pouvoir des Etats-Unis.

D’ailleurs, Piñera compte aussi emprunter à la Banque Interaméricaine de Développement, dominée par les USA. Cet emprunt imposera de nouvelles mesures d’économies antisociales. Cette offensive générale du privé contre le public n’a rien d’étonnant dès lors qu’un milliardaire a carrément pris la présidence de l’Etat. Toute apparence d’indépendance entre les deux sphères s’évanouit : le ministre des affaires étrangères dirigeait la chaîne de grands magasins Falabella ; celui de la Santé dirigeait la clinique privée Las Condes, la plus chère du pays. Même s’ils ont temporairement abandonné ces postes, ils prennent des décisions qui les concernent de façon très intéressée.

Avec de tels milliardaires au pouvoir, pas étonnant que les entreprises soient taxées de façon ridicule : 3% en 2011 et 1,5% en 2012 ! Sous prétexte, toujours, du tremblement de terre. En fait, le Chili occupe la 21ème place mondiale des Etats taxant le moins le Capital. Et la première place en Amérique latine (source : Pricewaterhouse Coopers). Sur ces liens entre la dictature et Piñera, sur ces projets antisociaux, les télés n’ont rien dit.

Occultée : la colère des mineurs

Dans ce pays où le chef d’entreprise est roi, Piñera a quand même dû constituer une commission sur la sécurité au travail après le drame de San José. Elle rendra ses conclusions le 22 novembre. Il a aussi créé un organe de contrôle des mines, et décidé de revoir le règlement de sécurité minière.

Ce n’est pas le cadeau d’un milliardaire au grand cœur, c’est juste un recul face au mécontentement. Juste après le sauvetage des mineurs, leurs collègues ont manifesté pour réclamer leurs salaires et leurs primes non perçues, la formation continue des jeunes travailleurs, la validation des acquis, la retraite des aînés et les indemnités de licenciement. Le 7 septembre, d’ailleurs, les syndicats chiliens ont exigé la ratification de la convention sur la sécurité et la santé dans les mines, mais aussi dans le bâtiment et dans l’agriculture.

Mais ce que la télé n’a pas dit, c’est que ces violations des droits des travailleurs trouvent leurs origines dans les réformes opérées sous la dictature. Les années Pinochet ont transformé la santé, l’éducation et la Sécurité sociale en simples marchandises. Les emplois ont été précarisés et flexibilisés. Et ces réformes néolibérales sont restées quasiment intactes, car elles n’ont jamais été remises en question par les gouvernements de la Concertation (alliance des démocrates-chrétiens et socialistes), qui se sont succédés pendant vingt ans depuis Pinochet. Bafouer les droits des travailleurs - et même les droits de l’Homme - est toujours légal au Chili.

Sur ce terrain aussi, Piñera est impliqué. C’est son frère José qui était ministre du Travail dans les années 80, sous la dictature. C’est lui qui a appliqué le néolibéralisme pur et dur des Chicago Boys, en imposant que les retraites soient « capitalisées », c’est-à-dire en fait privatisées. Ce désastre nous ramène au Camp Esperanza. Un des 33, Mario Gomez, a commencé à travailler dans les mines à douze ans. Aujourd’hui, à soixante-trois ans, il y est toujours ! Pourquoi ? Parce que sa retraite est dérisoire. Merci, José Pinera ! De tout cela, la télé n’en a rien dit.

Un des pays les plus injustes au monde

« Miracle économique » aux yeux de Washington, le Chili figure en réalité parmi les pays les plus injustes au monde. Les statistiques du CASEN (centre d’enquête sur la situation socio-économique nationale) montrent que la pauvreté grimpe au même rythme que le PIB (production globale du pays). Celui-ci augmente, mais ne profite qu’à une partie de la population, creusant davantage les inégalités. La pauvreté a augmenté de 15 % en 2009. Particulièrement touchés : les enfants de moins de trois ans. Un sur quatre est pauvre selon le CASEN.

Mais ces chiffres officiels sous-estiment encore la réalité, car ils se basent sur un calcul datant de 1988, qui considère qu’un pauvre est une personne gagnant moins de 2.000 pesos par jour. Or, un ticket de bus revient à 500 pesos ! Il n’a donc pas été tenu compte de l’augmentation du coût de la vie. Une estimation plus réaliste aboutit à huit millions de pauvres, soit la moitié de la population. Face à cela, la section des droits de l’Homme de l’ONU reste muette. Et les Etats-Unis, grands défenseurs de la démocratie, considèrent le pays comme un allié et même un exemple. Est-ce un hasard si le Chili se rapproche aujourd’hui de la Colombie, considérée comme l’agent des Etats-Unis en Amérique latine ?

Au final, la société chilienne a été divisée, déchue de ces droits, mal informée et réduite à la soumission par des médias uniformes. L’objectif de la droite se situe dans la continuité du régime militaire, et même de la Concertation. Le pays devient de plus en plus un paradis pour les entreprises, réprimant travailleurs et syndicats. Sebastián Piñera garantit la préservation du modèle de la Constitution que Pinochet avait imposée en 1980. Il risque même de l’approfondir. La télé n’en a rien dit.

A quoi sert un show ?

Résumons (et tirons-en les leçons, car de pareils shows, on nous en resservira encore). Pendant des jours et des jours, les grands média internationaux nous ont ressassé le même conte de fées : un milliardaire au grand cœur, tellement soucieux des pauvres ! Pendant des jours et des jours, cette télé unique a laissé de côté les méfaits et les plans égoïstes de ce milliardaire, ses liens avec la pire dictature, sa servilité envers les Etats-Unis.

Toutes les caméras, chiliennes et internationales, ont été braquées sur ce show. Rien sur, par exemple, l’impressionnante grève de la faim des indigènes Mapuche. Durement réprimés, traités comme des terroristes, leur lutte a été étouffée. Par contre, la télévision nous a tout raconté sur les mineurs, jusqu’à leurs secrets les plus intimes. On a découvert la double vie de certains, des enfants cachés et des maîtresses. On se serait cru en pleine téléréalité. Zéro info, que de l’émotion à la louche : les maisons de production annoncent un film, un téléfilm et un livre. Quelle opportunité pour s’en mettre plein les poches ! Pour assurer les détails poignants, le journal de bord d’un des rescapés est au cœur de toutes les convoitises. On estime que les acheteurs potentiels seraient prêts à débourser jusqu’à cinquante mille dollars. Ces 33 histoires seront donc exploitées au maximum, mettant à nu la vie privée de 33 personnes.

Le principe du « show » télévisuel, c’est d’empêcher la réflexion. Pour cela, on joue sur l’émotion avec des techniques bien étudiées qui scotchent le spectateur et gonflent les recettes publicitaires. Cette émotion est systématiquement exploitée afin de cacher l’absence de toute véritable enquête sur les causes des problèmes. Par exemple, un accident de travail est presque toujours le résultat d’un conflit entre des intérêts opposés : le profit contre la sécurité.

Aucune enquête donc sur les responsabilités des « sauveurs » et de l’Etat chilien. Pas d’enquête sur nos gouvernements occidentaux qui ont été complices de Pinochet et ont refusé que ce criminel soit jugé. Pas d’enquête sur les questions actuelles fondamentales… Pourquoi un Latino-Américain sur deux est-il pauvre alors que ce continent regorge de richesses et que les multinationales y font d’énormes profits ? Pourquoi nos gouvernements occidentaux s’opposent-ils à tous ceux qui tentent de combattre la pauvreté ? Pourquoi ces gouvernements n’ont-ils rien fait lorsque la CIA a tenté des coups d’Etat pour éliminer Hugo Chavez, Evo Morales et Rafael Correa ? Pourquoi ne font-ils rien contre le coup d’Etat militaire qui a réussi au Honduras ? On y tue systématiquement des journalistes, des syndicalistes des militants des droits de l’Homme et cela ne provoque aucune campagne médiatique internationale ?

A la place de ces véritables enquêtes, la télé nous bourre le crâne avec les messages du genre « milliardaires et travailleurs, tous dans le même bateau »… Pour vraiment s’informer, il faudra chercher ailleurs.

Source : michelcollon.info

À l'affiche présentement :

« Le film que notre gouvernement refuse de voir »



Vous n’aimez pas la vérité - 4 jours à Guantánamo est un documentaire basé sur l'enregistrement d'une caméra de surveillance de la prison de Guantánamo. La rencontre, jamais vue auparavant, d’une équipe d’interrogateurs canadiens avec un enfant détenu dans la prison de Guantánamo.

Basé sur les sept heures d’enregistrement vidéo déclassifiées par les tribunaux canadiens, ce documentaire rend compte de l’intensité de cet interrogatoire qui a duré quatre jours. S'appuyant sur le style d’un écran de surveillance, le film analyse les portées scientifiques, légales et politiques d’un dialogue forcé.

AU CINÉMA PARALLÈLE
3536 boul. St-Laurent, Montréal
DÈS LE VENDREDI 29 OCTOBRE
(en présence des cinéastes)
17h00 et 21h00

Également présenté à Québec, Laval, Rimouski, Rouyn-Noranda, ...
(
voir la liste complète des diffusions)

jeudi 28 octobre 2010

Eclatante objectivité de la presse de Miami

Cinq Cubains à la Une

Le Monde Diplomatique, novembre 2010 (version longue)

Il y a dix ans, le 27 novembre 2000, s’ouvrait à Miami le procès de cinq Cubains qui, pour avoir infiltré les réseaux criminels agissant contre l’île depuis la Floride, ont été condamnés à des peines qui défient l’entendement. Avant et pendant les audiences, tandis que les médias nationaux et internationaux se désintéressaient de l’affaire, ceux de Miami ont joué un rôle primordial dans la mise en condition de l’opinion – et des jurés.

Par Maurice Lemoine

Cent policiers ! Une opération digne d’Hollywood pour, ce 12 septembre 1998, à Miami, arrêter cinq Cubains : MM. Gerardo Hernández, Ramon Labañino, René González, Fernando González et Antonio (Tony) Guerrero. Suivent deux jours d’interrogatoires ininterrompus, exténuants, au long desquels ils ne peuvent ni se laver ni se raser. Le 14 septembre, vêtements fripés, joues bleuies par la barbe, chevelures en broussaille, yeux ravagés, on les propulse devant une nuée de photographes. Belle séance de portraits ! Ce sont ces « tronches » de truands qui apparaîtront dans la presse, dès le lendemain.

Ce même 14 septembre, en conférence de presse, le chef local du Federal Bureau of Investigation (FBI) Hector Pesquera fait l’important : « Cette arrestation est un coup significatif porté au gouvernement cubain. Ses efforts pour espionner les Etats-Unis ont été déjoués. » M. Pesquera ment. Il s’en moque. Il peut se permettre n’importe quoi. Il se trouve dans la République bananière de Miami et il le sait.

Ceux qui bientôt deviendront les « cinq » ont en réalité infiltré les organisations armées de l’exil anticastriste, tout comme leur vaisseau-amiral, la « très respectable » Fondation nationale cubano-américaine (FNCA), créée par Ronald Reagan en 1981. Ils ont informé La Havane sur les tentatives d’infiltrations dans l’île et les attentats en préparation (1). Et pour qui douterait de l’existence de ces réseaux criminels, l’un de leurs principaux acteurs a mis personnellement les points sur les « i » : M. Luis Posada Carriles. Agent de la Central Intelligence Agency (CIA), auteur intellectuel du crime de La Barbade – l’explosion en vol, en 1976, d’un DC-8 de la Cubana de Aviación (soixante-treize morts) –, il a, depuis l’Amérique centrale, accordé treize heures d’entretien à Larry Rohter et Ann Louise Bardach, du New York Times. « Je tiens à déclarer que je suis l’organisateur de la campagne contre des objectifs touristiques, en 1997, à Cuba. » Une série de bombes a, du 12 avril au 4 septembre de cette année-là, frappé les hôtels de La Havane, provoquant d’importants dégâts, la mort d’un touriste italien et de nombreux blessés. Ayant, à ce moment, quelques comptes à régler avec ses amis, M. Posada Carriles a précisé : « Je suis en lien permanent avec la FNCA. »Réaction des journalistes : « Vous voulez dire qu’elle est au courant de vos activités ? » « Evidemment, puisqu’elle les finance ! De [Jorge] Mas Canosa [président à l’époque de la FNCA], j’ai dû recevoir environ deux cent mille dollars. »

Ces révélations, publiées par le NYT les 12 et 13 juillet 1998, tétanisent Miami. Le Miami Herald, le Nuevo Herald, le Diario las Americas, les radios – Radio Mambi, La Poderosa, etc. –, la télévision – Canal 23, Canal 41, TV Martí – détournent l’attention en bombardant le public de la nouvelle du siècle : une supposée maladie de M. Fidel Castro.

En revanche, quelques mois plus tard, et s’agissant des « cinq »… Tout y passe. Le mot « espions », en long, en large et en continu. Les formules stéréotypées, les clichés rebattus des plus mauvais romans. Les déclarations fantaisistes de fonctionnaires du FBI : les détenus sont des individus dangereux. Les mensonges les plus éhontés : « Les espions planifiaient des sabotages en Floride » (2).

Dix-sept mois d’isolement total dans le pourrissoir de cellules disciplinaires empêchent les inculpés de préparer leur défense. Qui serait assez simple, au demeurant. Il n’existe aucune preuve de leur culpabilité. Par ailleurs, prévoit la loi, si le climat hostile d’un lieu – et dans ce cas Miami, fief de l’extrême droite cubaine – peut avoir une quelconque influence sur le bon déroulement d’un procès, le juge doit le transférer en un autre endroit. Il n’en sera rien. Dix-sept avocats commis d’office par la Cour refuseront de siéger, craignant les répercussions que pourrait avoir sur leur carrière le fait de défendre un « espion cubain ».

Le 27 novembre 2000 commence la sélection du jury. De nombreuses personnes convoquées expriment leur réticence à l’intégrer, déclarant redouter la pression des médias. D’autres expriment leur crainte d’une manifestation violente de l’exil si les jurés décident d’absoudre les accusés. Le 2 décembre, la juge expose aux « heureux élus » les grandes lignes du fonctionnement d’un procès. « Il vous est interdit de lire quoi que ce soit sur l’affaire, dans les journaux, ou d’écouter des commentaires à la radio ou à la télévision, les médias pouvant contenir des informations et des jugements qui ne constituent en rien des preuves. (…) Vous m’avez compris ? » Ils acquiescent gravement. Un peu plus tard, ils quittent leur salon de réunion. Un greffier en sort précipitamment sur leurs talons. Il lève une main pour montrer un journal froissé. Un exemplaire du Miami Herald. A la « une », un assassinat en règle des « cinq espions ».

Début du procès. Télévision, quotidiens sérieux et feuilles à scandale couvrent les audiences, espérant sans doute y trouver le monde glamour de James Bond, des nuits de cocktails, des autos de luxe, des armes sophistiquées – bref, des « super-espions ». Déception. Quand la défense commence à parler de leur objectif antiterroriste, le New York Times rappelle sa correspondante. Malgré leur passion pour les chroniques judiciaires, fussent-elles totalement dépourvues d’intérêt, les autres envoyés spéciaux font leurs valises aussi.

Les médias européens ? Si la grande presse américaine consacrait une large place à l’affaire, si celle-ci concernait une star du showbiz ou une personnalité connue – comme M. O.J. Simpson en 1994-1995 ou Michael Jackson en 1993 et 2003 – sans doute s’y intéresseraient-ils. Ce n’est pas le cas. Ne restent que les reporters des médias de Miami.

Des manifestations ont lieu devant le siège du tribunal. Des excités brandissent des cordes en demandant que les « cinq » soient pendus. Jusqu’au moment des délibérations (le 4 juin 2001), les jurés subissent un harcèlement constant. Brandissant caméras et micros, des journalistes les poursuivent dans les couloirs, dans la rue, jusqu’à leurs véhicules, dont ils filment les plaques d’immatriculation.

Moment clé (parmi tant d’autres). Le 13 mars 2001, à la demande de la défense, M. José Basulto a été convoqué pour témoigner. Vétéran de la Baie des Cochons, lié à la CIA, auteur d’une attaque à la mitrailleuse contre un hôtel cubain en 1962, il a rejoint la contra nicaraguayenne (3) dans les années 1980 puis a fondé une « organisation humanitaire », Hermanos al Rescate (Frères du sauvetage ; HAR), à Miami, en mai 1991. Dotée de plusieurs avions – dont deux Cessna 0-2 en version militaire que lui a offert l’US Air Force (dont ils portent encore l’emblème), à la demande du président George Bush (père) – elle a pour objectif affiché de sauver les balseros (4) en perdition dans le détroit de Floride. Provoquant un scandale mondial, deux de ces appareils ont été abattus par la chasse cubaine (quatre morts), le 24 février 1996, dans l’espace aérien de l’île violé à maintes reprises pour inciter, à l’aide de tracts jetés du ciel, les Cubains à se rebeller. Lui imputant un rôle dans cet événement, on accuse M. Hernández de « conspiration d’assassinat au premier degré dans les eaux internationales ».

Seulement, le témoignage de M. Arnoldo Iglesias, lui aussi convoqué, a levé un coin de voile sur la face cachée de HAR. Pressé de questions par la défense, il a dû admettre que, en 1995, M. Basulto et lui ont fait l’essai de bombes artisanales en les lançant de leur avion dans la zone de l’aéroport d’Opa-Locka (et au large des Bahamas). Sommé de s’expliquer lors de l’audience du 13 mars, M. Basulto ment, s’enferre, se décompose et finit par perdre son sang-froid, accusant l’avocat Paul McKenna d’être « un espion communiste ».

Le lendemain, silence radio – au sens propre de l’expression. Indigné, M. Roberto González, frère d’un des accusés, René (5), croise le journaliste du Miami Heralddans le hall du tribunal. Il raconte : « Je lui ai dit : “Chico, je suis préoccupé. On m’a parlé de la liberté de la presse, mais je vois que lorsque quelque chose à l’audience contredit la thèse du gouvernement, tu ne publies rien, le jour suivant.” Il a eu l’air ennuyé et il m’a répondu : “Les gens n’aiment pas ce genre d’information. Ils disent que j’aide la défense.” » Le Nuevo Herald, pour sa part, titre, le 17 mars : « La défense tente de souiller Basulto ». Et le procès reste un brouillard pour ceux qui n’y assistent pas.

Extrême discrétion encore lorsque des représentants de la Federal Aviation Agency (FAA) confirment qu’ils ont averti sept fois M. Basulto du grave danger que faisaient courir à HAR ses vols illégaux sur La Havane. Lorsque le contre-amiral Eugène Carroll affirme que, informé par les autorités cubaines qu’elles défendraient leur espace aérien, conformément au droit international, il a prévenu les responsables militaires, à Washington, afin qu’ils mettent un terme aux provocations de HAR, mais qu’ils n’ont rien fait. Lorsque plusieurs officiers de haut rang – le général Edward Breed Atkison, instructeur de l’Ecole du renseignement pour la défense pendant dix ans ; le général Charles Elliott Wilhelm, ex-chef du Commandement sud de l’armée des Etats-Unis ; le général James Clapper, ex-directeur de la Defense Intelligence Agency, les services secrets du Pentagone – déclarent à la barre qu’aucun des inculpés n’a obtenu ou recherché des informations pouvant porter préjudice à la « sécurité nationale des Etats-Unis ».

En revanche, le 30 avril, le Nuevo Herald sonne le tocsin : « Le ministère public a assuré qu’il disposait de preuves et de documents en abondance au sujet des prétendues activités d’espionnage des accusés. Or, bien que le procès doive se conclure dans un mois, de nombreux observateurs et leaders communautaires se plaignent de ce que ces preuves écrasantes brillent par leur absence, et que la défense semble avoir assis l’exil cubain au banc des accusés… Si les choses continuent comme ça, ces espions vont être mis en liberté. »

Vaine inquiétude… Le 8 juin 2001, sans doute soucieux d’éviter le lynchage, les jurés, à l’unanimité, déclarent les « cinq » coupables. Entre le 13 et le 27 décembre 2001, les peines tombent, démesurées, irrationnelles, pour « conspiration d’espionnage en vue d’affecter la sécurité nationale des Etats-Unis » : quinze ans d’emprisonnement pour M. René González ; dix-neuf ans pour M. Fernando González ; perpétuité plus dix-huit ans pour M. Labañino ; perpétuité plus dix ans pour M. Guerrero ; deux perpétuités plus quinze ans (« conspiration en vue d’assassinat ») pour M. Hernández (6).

La presse locale explose de joie. Les médias internationaux se taisent.

En septembre 2006, scandale (très limité) : on découvre que dix journalistes influents, d’origine cubaine, qui travaillent dans les médias de Miami (7) – Miami Herald, Nuevo Herald, Diario Las Americas, les chaîne Univisión, Telemundo et Canal 41, Radio Mambi – sont régulièrement payés par le gouvernement fédéral pour participer à des programmes de Radio et TV Martí – deux chaînes officielles émettant vers l’île pour appuyer la politique anticastriste – afin de réaliser des opérations de propagande clandestine – ce que, dans le jargon des opérations psychologiques, on appelle « semer l’information ». Ces « professionnels » sont ceux qui, par leurs articles et commentaires, ont contribué à créer le climat qui a entouré l’affaire des « cinq » depuis leur arrestation en 1998 (8).

Le 2 juin 2010, le comité national américain pour la libération des « cinq » – Free The Five – a annoncé sa décision de porter plainte contre le Broadcasting Board of Governors (BBG), entité autonome du gouvernement fédéral responsable de toutes les transmissions financées par ce même gouvernement. Au terme d’une enquête de dix-huit mois, le comité dénonce le paiement par le BBG de 74 400 dollars à des journalistes, afin de créer une atmosphère préjudiciable aux « cinq ». Du 27 novembre 2000 au 8 juin 2001 – c’est-à-dire pendant le procès –, le Nuevo Herald a publié huit cent six articles, et le Miami Herald trois cent cinq, hostiles aux accusés.

Jamais la vérité n’a été aussi nue.

Mais, douze ans après leur arrestation, les « cinq » pourrissent toujours dans les pires établissements pénitenciers américains.

Maurice Lemoine

Version augmentée de l’article paru dans le Monde diplomatique de novembre 2010.

(1) Depuis 1959, les actions armées de l’exil ont fait plus de trois mille quatre cents morts à Cuba.

(2) El Nuevo Herald, 17 septembre 1998. El País, sous le titre « Les 007 de Fidel » (Madrid, 21 septembre 1998), évoquera des « plans de sabotage contre des avions et des aéroports » et le recueil d’« information détaillée sur les hauts commandants du Commandement sud de l’armée des Etats-Unis ».

(3) Contre-révolutionnaires qui ont mené des opérations armées contre la révolution sandiniste, depuis leurs camps du Honduras.

(4) Cubains cherchant à gagner les Etats-Unis sur des embarcations de fortune.

(5) Nés aux Etats-Unis de parents cubains qui ont regagné l’île après le triomphe de la révolution, ils ont tous deux la double nationalité cubaine et américaine, tout comme M. Antonio Guerrero.

(6) Au terme d’un processus judiciaire complexe, les peines de trois détenus ont été réduites, en 2008 : vingt et un ans et dix mois de prison pour M. Guerrero ; trente ans pour M. Labañino ; dix-sept ans et neuf mois pour M. Fernando González.

(7) Parmi eux : Carlos Alberto Montaner, collaborateur du journal conservateur espagnol ABC.

(8) En décembre 2006, Jésus Díaz, président et rédacteur en chef du Miami Herald et du Nuevo Herald a dû démissionner.