jeudi 25 novembre 2010

Article de Rue Frontenac

Frais de scolarité - Les étudiants britanniques descendent dans la rue PDF Imprimer Envoyer
Nouvelles générales - International
Écrit par RueFrontenac.com
Mercredi, 24 novembre 2010 12:34

Les étudiants Québécois ne sont pas les seuls à s’élever contre les frais de scolarité. Leurs camarades britanniques sont descendus mercredi par milliers dans les rues de Londres et d’autres villes du pays pour protester contre des hausses importantes des frais qui leur sont exigés pour fréquenter l’université. Des marches, des protestations, des discours ont eu lieu dans différents établissements universitaires du pays, notamment à Manchester, Liverpool, Sheffield, Bristol, Southampton, Oxford, Cambridge, Leeds, Newcastle, Bournemouth, Cardiff et Glasgow.

Ces manifestations surviennent près de deux semaines après d’autres événements du genre qui s’étaient terminés dans la violence. Près de 50 000 personnes s’étaient présentées lors de ces rassemblements populaires.

La police a déjà prévenu les manifestants qu’elle n’hésitera pas à procéder à des arrestations si ceux-ci deviennent violents.

Le gouvernement britannique a provoqué la colère des étudiants après avoir annoncé que les frais d’inscription dans les universités britanniques passeraient de 3290 livres (5285$) à 6000 livres, soit près de 10 000$ canadiens. Dans certaines circonstances, les frais réclamés pourraient même atteindre 9000 livres, soit près de 15 000$.

vendredi 12 novembre 2010

Ce que les révélations de Wikileaks ne révèlent pas

Kamil Mahdi

Les révélations de Wikileaks fournissent un aperçu supplémentaire de la destruction mise en oeuvre en Irak par la guerre et l'occupation. Ces fuites montrent également comment d’une part, les pertes de vies irakiennes ont été sérieusement minimisées et comment d’autre part, la cruauté américaine et britannique ont été très peu couverte par les médias. Mais, selon Kamil Mahdi, les documents ne donnent toujours pas une image complète de la dévastation qui a été infligée à l'Irak et à sa population.

Pour les Irakiens, le nouveau lot de carnets de route militaires US révélés confirme seulement leurs expériences vécues de la brutalité de l'occupation américano-britannique dans leur pays.


Les violences et les abus, pour la plupart gratuits, commis par les troupes US étaient et restent, dans une moindre mesure, une expérience quotidienne pour les Irakiens.


Cette culture de la violence et de l'abus va de pair avec une pratique militaire qui n'accorde pratiquement aucune valeur à la vie des Irakiens, y compris celle des civils.


Les documents révélés et rapportés montrent le faible intérêt bureaucratique pour la violence de l'occupation au quotidien. Sans aucun doute, les révélations montrent à quel point les forces d’occupation sont responsables d’une bonne partie (voir plus) des violences en Irak. En tant qu'auteurs de ces violences ou en tant que spectateurs des violences commises par les unités locales que l'occupation a entretenue et qu'elle continue à protéger, soutenir, entraîner et guider.


Les atrocités nouvellement rapportées soulignent encore plus la responsabilité générale des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, ainsi que celle de leurs alliés politiques locaux, dans le climat de chaos et de violence résultant de l'invasion et de l'occupation de l’Irak. En témoignent la myriade d'échecs dans l'approvisionnement de sécurité de base, de services indispensables, de régénération économique, et d'un cadre constitutionnel et administratif permettant d'en finir avec la crise de la société irakienne.


Les abus rapportés dans ces révélations, en plus de tous les crimes US et britanniques déjà connus, doivent servir de rappel : les éléments de violence communautaire (par opposition au régime de répression et de terreur) expérimentés en Irak ces dernières années résultent de l'occupation elle-même.


L'occupation et la destruction de l'Etat a poussé les Irakiens à chercher la protection au sein de leurs communautés. Et les nouvelles institutions établies ont été essentiellement construites sur base d'identités sectaires et ethniques. Les carnets de bords montrent que les forces d'occupation, au lieu d'enquêter sur les abus, de chercher à en punir les auteurs et de protéger les citoyens, ont terrorisé la population irakienne et donné du pouvoir aux intégristes. L'occupation a acquiescé aux déplacements massifs de population, et procédé à la construction de murs de béton pour séparer les communautés, même sans approbation préalable du gouvernement irakien. L’occupation a de ce fait créé un environnement hostile à des forces politiques démocratiques et nationalistes. Ce sont là les racines du processus sectaire politique hésitant ainsi que le fond de la répression grandissante et du comportement violent des nouvelles forces de sécurité irakiennes qui opèrent aux côtés des troupes américaines.

Les escadrons de la mort

Ce que ces révélations n'ont pas encore dévoilé cependant, ce sont les détails des opérations des escadrons de la mort qui ont été responsables du meurtre de dizaines de milliers d'Irakiens. Des meurtres perpétrés simplement sur base d'identités communautaires et qui pèsent lourd dans l'issue politique et sociale actuelle du pays.


Ces révélations ne montrent pas non plus l'identité de ces escadrons de la mort organisés. Wikileaks ne révèle pas non plus les liens avec les Forces spéciales US qui continuent d'opérer en Irak et qui, par le passé, ont été impliquées avec des escadrons de la mort ailleurs dans le monde.


Les activités des mercenaires, les soi-disant « contractuels de sécurité », ne figurent pas non plus jusqu'ici dans les rapports de ces révélations.


En d'autres termes, ces documents révélés ne peuvent pas montrer une image complète de la violence et de la manière avec laquelle elle a été utilisée à des fins politiques et économiques.


Cependant ils fournissent un plus grand aperçu de la destruction mise en œuvre en Irak par l'occupation. Ils révèlent que les statistiques officielles et les comptes basés sur les données des médias concernant le nombre de victimes irakiennes, tels que l’Irak Body Count, ont sérieusement minimisés la véritable étendue des pertes humaines, et que les médias étrangers ont sérieusement sous-exposé l'étendue et la cruauté de la violence US et britannique à l'encontre des Irakiens.


Les révélations montrent la faible valeur accordée aux vies irakiennes dans cette soi-disant Operation Iraqi Freedom. Et beaucoup d'Irakiens feront la comparaison entre la destruction militaire injustifiée de vies irakiennes d’une part, et la récente décision du gouvernement irakien, dépendant des Etats-Unis, de dédommager pour un total de 400 millions de dollars une petite douzaine de citoyens américains qui ont souffert d'atteintes relativement mineures à leurs libertés sous l'ancien régime Saddam en 90 et 91.


Le gouvernement irakien de Nouri al-Maliki a protesté : les révélations de Wikileaks sont politiquement motivées et servent à embarrasser l'actuel premier ministre intérimaire lui-même, ainsi qu’à détruire ses chances de rester au poste. Si c'était le cas, l'opportunité aurait dû être saisie il y a quelques mois, avant que Maliki ait acquis de la force pour rester en place au moment où il a procédé à la mise en œuvre de contrats pétroliers qui sapent la souveraineté irakienne sur ses ressources, et au moment où il a développé un soutien régional et international pour sa candidature en accordant plus de concessions aux Etats-Unis et à leurs alliés locaux les plus proches.


Les révélations montrent très clairement qu'il y a très peu de surveillance judiciaire des nouvelles forces de sécurité irakiennes qui s'adonnent à la torture, aux mauvais traitements et aux meurtres. Bien que ceci ne soit pas vraiment une révélation pour les Irakiens qui subissent ces abus, cela met la lumière sur la question de l'indépendance, par opposition au contrôle politique des forces internes de sécurité. Cette question est une de celles qui perturbent la formation d'un nouveau gouvernement, alors que les élections ont eu lieu il y a plus de 7 mois.


Cependant, le problème principal en Irak reste que les Etats-Unis continuent de s'insinuer eux-mêmes dans les affaires irakiennes internes au travers d'accords iniques et par d'autres moyens. Personne ne peut faire confiance à l'indépendance politique des forces de sécurité alors même qu'il reste des milliers de troupes US dans ce pays qu'ils ont occupé et abusé.

Traduit de l'anglais par Elise Broyard pour Investig'Action
Source originale : stopwar

dimanche 7 novembre 2010

Avignon , 6 novembre, la manif la plus speed depuis 1968 ?

Source : http://paris.indymedia.org/

Avignon, 6 novembre tout le monde s'attendait à l'enterrement du mouvement et à la manif la plus planplan de l'année. et bien non, manif sauvage, confrontation avec des CRS débordés, gazage et tabassage de manifestants allaient être au programme !

Tout débute à 14 h à la gare à l'appel de l'intersyndical, tout au plus un millier de personnes sont rassemblés au départ de la manif (les syndicats avaient annoncé 20 000 manifestants lors de la dernière journée). Puis le cortège s'ébranle et se met à grossir superbement. Combien de manifestants à l'arrivée devant le Pont d'Avignon ? Plusieurs milliers mais en tout cas bien plus que les pronostiqueurs de tout poils ne l'avaient prédit. Première surprise.

Puis, à la fin des traditionnelles prises de paroles, une personne (peut-être de SUD) appelle les manifestants à se rendre au Palais des papes (en centre-ville) où s'achève le « Forum d'Avignon » (« rencontres internationales de la culture, de l'économie et des médias ») en présence de toutes les crapules cultureuses imaginables et de leur ministre Frédéric Mitterrand . C'est environ un millier de manifestants qui vers 16h converge vers le lieu par petits groupes, sans étiquettes ou syndicalistes (CGT ou SUD).

Le secteur en question est verrouillé par un imposant dispositif de CRS et gardes mobiles. Un premier petit groupe de manifestants (SUD, CGT ou sans étiquette) cherche à rejoindre la place du Palais des Papes par une ruelle/escalier mais se trouve face à un léger barrage de gardes mobiles. et repousse alors ces derniers pour passer.. Les militaires ripostent par des tirs de grenades lacrymo et un viril matraquage (qui voit un manifestant repartir la tête en sang) et reprennent la rue .

D'autres groupes, profitant d'un labyrinthe de ruelles, réussissent à déjouer le dispositif policier pour accéder à la Place du Palais ; ils sont bientôt plusieurs centaines à s'y installer. D'autres centaines de manifestants, dans les deux principales rues d'accès à la place font face à des cordons de gardes mobiles débordés par la situation. Pendant plus d'une heure.

Les nombreux participants au Forum de la culture ayant fini leur champagne et devant prendre un TGV pour retourner sur Paris, des renforts de CRS sont dépêchés sur la place pour libérer le passage des berlines avec chauffeur qui attendent. Les manifestants présents sur la place sont gazés, bousculés et matraqués. Les rumeurs parlent de deux arrestations (dont un relaché peu après).

Puis vient le tour des participants du forum de seconde zone (sans berline avec chauffeur) se regroupant dans des cars et minibus sous les sifflets et huées des manifestants. qui bloquent ensuite le départ des véhicules vers la gare TGV. Nouvelle intervention des CRS qui repoussent les trouble-fêtes avec leurs boucliers.

Puis c'est le préfet du Vaucluse, en grand uniforme et escorté de flics de la DCRI et de la BAC, qui veut se frayer un passage pour rejoindre la préfecture distante de 300 m. Les manifestants, l'ayant repéré, accourent et l'insultent. C'est quoi son nom déjà ? « Enculé ! » me répond un responsable cégétiste (un peu homophobe mais bon.). Les CRS doivent speeder pour assurer sa protection jusqu'à la préfecture.

A ce moment-là tout devient très confus et en plus il commence à faire nuit (il est plus de 18 h). Les CRS amorcent un mouvement sur la place de l'Horloge où sont massés les manifestants et se rassemblent devant des camions situés sur une rue perpendiculaire (rue Favart). Personne ne
comprend ce qu'ils vont faire, mais environ deux cents manifestants se rassemblent devant les fourgons ; on trouve beaucoup moins de syndicalistes badgés, plus de sans étiquettes, mais aussi pas mal de jeunes lascars qui trainaient sur la rue de la République : tout le monde gueule « police partout, justice nulle part ! », « Libérez Avignon ! » mais surtout un vibrant et répétitif « cassez-vous ! ». En fait les CRS s'étaient rassemblés à cet endroit pour décrocher de la place ; une haie de bouclier doit se déployer pour faire un passage aux fourgons qui se replient sous les insultes, huées, sifflets et jets de quelques projectiles de fortune. Dernier « incident » lorsqu'une manifestante ouvre la porte du dernier camion (logistique) des flics ; les CRS gazent alors pour se dégager mais sont talonnés un bon moment par les manifestants hurlant « cassez-vous ! ». Victoire non militaire mais au moins morale si ce n'est politique.

Bref, du jamais vu pour une petite ville paisible comme Avignon ! La lutte continue ! Pas de retraite à l'attaque !

vendredi 5 novembre 2010

Le dissident cubain Guillermo Fariñas et le Prix Sakharov du Parlement européen

Salim Lamrani

Le 21 octobre 2010, le Parlement européen a annoncé le nom du lauréat 2010 du Prix Sakharov « pour la liberté de l’esprit », et l’a attribué au dissident cubain Guillermo Fariñas Hernández. Selon l’institution européenne, ce dernier s’inscrit « dans une longue lignée de dissidents, défenseurs de droits de l’homme et de la liberté de pensée ». Le président du Parlement Jerzy Buzek a noté que l’opposant au gouvernement de La Havane « a été prêt à risquer sa santé et sa vie pour faire changer les choses à Cuba ». Il s’agit de la troisième fois en neuf ans qu’un opposant cubain reçoit cette distinction, après Les Dames en blanc en 2005 et Oswaldo Payá en 20021.

Il convient de revenir sur le parcours personnel de Guillermo Fariñas et son entrée dans le monde de la dissidence à Cuba, avant d’évoquer la politisation du Prix Shakarov.

Guillermo Fariñas

Né le 3 janvier 1962, Guillermo Fariñas est un ancien soldat ayant servi en Angola en 1981, dans la lutte pour l’indépendance de la nation africaine et contre le régime raciste d’Afrique du Sud. Il a longtemps été un fervent admirateur du processus révolutionnaire, et son père avait participé à la lutte contre la dictature de Fulgencio Batista aux côtés de Fidel Castro. Suite à la chute du Mur de Berlin en 1989 et à l’apparition des premières difficultés économiques à Cuba, il a alors abandonné les Jeunesses communistes, sans pour autant prendre une position politique contraire au gouvernement de Havane2.

Ce n’est qu’en 2003 qu’il effectue un virage idéologique à 180 degrés et tourne le dos aux idées qu’il avait auparavant défendues. Il intègre alors la dissidence et fonde l’agence de presse Cubanancan Press, financée par « des Cubains-américains anticastristes », selon l’agence étasunienne Associated Press3. Le Parlement européen signale qu’il est « partisan de la non-violence » et qu’il a mené « pas moins de 23 grèves de la faim pour attirer l’attention sur l’oppression des dissidents cubains et réclamer la liberté d’accès à Internet ». Il souligne également qu’il a passé onze ans en prison – en réalité neuf ans, mais n’a servi qu’un peu plus d’un an –, sans pour autant dévoiler les raisons de ses différentes condamnations4.

A aucun moment, l’entité européenne n’affirme que ses séjours en prison sont dus à son activité politique pour la simple raison que ses incarcérations sont dues à des délits de droit commun. La discrétion du Parlement européen au sujet du casier judiciaire de Fariñas est compréhensible, car ses actes délictueux mettent à mal l’affirmation du caractère « non-violent » du Prix Sakharov 20105.

En effet, Fariñas dispose d’un casier judiciaire chargé. En 1995, il avait été condamné à trois ans de prison avec sursis et à une amende de 600 pesos après avoir violemment agressé une femme, collègue de travail de l’institut de santé dans lequel il occupait un poste de psychologue, lui occasionnant de multiples blessures au visage et aux bras. Il réalisa alors sa première grève de la faim6.

En 2002, dans la ville de Santa Clara, dans la province de Las Villas, Fariñas avait agressé une personne âgée avec un bâton. Cette dernière, sérieusement touchée, fut transportée d’urgence à l’hôpital où elle dut subir une ablation de rate. Suite à ce délit, il fut condamné à cinq ans et dix mois de prison. Il observa de nouveau une grève de la faim et bénéficia d’une mesure de liberté surveillée le 5 décembre 2003 pour des raisons de santé7.

A ce sujet, l’agence de presse espagnole EFE se contente de déclarer qu’il avait été condamné « pour les délits de désordre public et agression », sans fournir de détails8. Pour sa part, Associated Press se fait plus explicite et rapporte que « certains de ses ennuis judiciaires sont dus à l’agression d’une collègue de travail et autres comportements violents9 ».

En 2005, Fariñas entama une nouvelle grève de la faim, exigeant de l’Etat cubain que lui soit installé un accès Internet à son domicile. Il fréquenta la représentation diplomatique étasunienne de La Havane, la Section d’intérêts nord-américains, laquelle finance ses activités. Il reconnaît aisément cette réalité. Le quotidien français Libération note que « Fariñas n’a jamais nié avoir reçu des ‘dons’ de la Section des intérêts américains pour se procurer un ordinateur et exercer son métier de ‘journaliste indépendant’ sur Internet10 ».

Mais Guillermo Fariñas a réellement été médiatisé à partir du 24 février 2010 lorsqu’il a entamé, à son domicile, une grève de la faim, qui a duré jusqu’au 8 juillet 2010, afin d’exiger la libération de ceux qu’il qualifie de « prisonniers d’opinion », en référence aux opposants condamnés pour avoir accepté le financement des Etats-Unis11. D’ailleurs, à ce sujet, l’Agence étasunienne pour le développement international (USAID), dépendante du gouvernement fédéral, admet financer l’opposition cubaine. Selon l’Agence, pour l’année fiscale 2009, le montant de l’aide destinée aux dissidents cubains s’élevait à 15,62 millions de dollars. « La grande majorité de cette somme est destinée à des individus se trouvant à Cuba. Notre but est de maximiser le montant du soutien dont bénéficient les Cubains dans l’île12 ».

L’organisation gouvernementale souligne également le point suivant : « Nous avons formé des centaines de journalistes sur une période de dix ans dont le travail est apparu dans de grands médias internationaux ». Cette déclaration met à mal les affirmations sur le caractère indépendant des « journalistes opposants » à Cuba. Ayant été formés et stipendiés par les Etats-Unis, ils répondent avant tout aux intérêts de Washington, dont le but est, comme le signalent les documents officiels du Département d’Etat », un « changement de régime » dans l’île13.

D’un point de vue juridique, cette réalité place de fait les dissidents qui acceptent les émoluments offerts par l’USAID dans la situation d’agents au service d’une puissance étrangère, ce qui constitue une grave violation du code pénal à Cuba, mais également dans n’importe quel pays du monde. Interrogée à ce sujet, l’Agence se contente de rappeler que « personne n’est obligé d’accepter ou de prendre part aux programmes du gouvernement des Etats-Unis14 ».

La dernière protestation de Fariñas avait gravement affecté son état de santé et il n’a dû sa survie qu’aux soins médicaux qui lui ont été prodigués par les autorités cubaines. Reconnaissant, il n’a d’ailleurs pas manqué d’exprimer sa gratitude à l’équipe médicale qui s’est occupée de lui, lors d’une interview concédée à la télévision espagnole alors qu’il se trouvait à l’hôpital15.

Guillermo Fariñas n’a jamais eu de problèmes à exprimer son opinion à l’égard du gouvernement cubain. Il a joui à cet égard d’une liberté d’expression totale. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un œil à ses déclarations émises durant sa dernière grève de la faim16. Durant son séjour à l’hôpital, il a régulièrement accordé des entretiens à la presse occidentale, s’en prenant virulemment aux autorités de l’île. Voici quelques extraits d’une interview accordée à Reporters sans frontières le 8 avril 2010 : « Le régime castriste est totalement rétrograde, archaïque, avec un manque de flexibilité, d’humanité, avec une cruauté marquée qui laisse mourir publiquement ses opposants ». Fariñas n’hésite pas à faire référence au « régime totalitaire cubain » et dénonce sans problème « les cruautés, les abus et les tortures » qui seraient commis dans l’île 17.

Fariñas n’est pas exempt de certaines contradictions. Alors qu’il se montre très critique du système cubain et compare la vie dans l’île à un enfer, il refuse d’émigrer malgré une proposition d’accueil de la part de l’Espagne18. Il est en effet curieux de refuser de vivre dans la neuvième puissance économique mondiale et de préférer rester dans un petit pays du Tiers-monde, en proie à des difficultés économiques indéniables, aggravées par l’embargo imposé par les Etats-Unis et par la crise mondiale. Il y a une raison à cela. En partant à l’étranger, Fariñas ne recevrait plus aucune aide financière ni des Etats-Unis ni de l’Union européenne.

La politisation du Prix Sakharov

Le Parlement européen a choisi, pour la troisième fois en neuf ans, un dissident cubain pour le Prix Shakarov, malgré la qualité des deux autres prétendants, l’ONG israélienne Breaking the Silence et l’opposante éthiopienne Birtukan Mideksa19.

Breaking the Silence a été créé en 2004 par des soldats israéliens et des anciens combattants et « montre au public israélien la réalité de l’occupation israélienne vue à travers les yeux des soldats. Elle participe au débat sur l’impact de l’occupation prolongée des territoires palestiniens », selon le Parlement. Quant à Birtukan Mideksa, il s’agit d’une femme politique et ancienne juge éthiopienne, leader de l’opposition, condamnée à la prison à vie en 2008, pour avoir dénoncé l’emprisonnement des opposants dans son pays, puis libérée en octobre 201020.

Il ne s’agit pas de critiquer Guillermo Fariñas pour son action. Il faut en effet une certaine dose de courage personnel pour risquer sa vie en observant une grève de la faim. Néanmoins, le choix du Parlement européen est discutable dans la mesure où il intègre d’abord et avant tout des paramètres politiques. En effet, dominé par la droite, le fait de récompenser une nouvelle fois l’opposition cubaine au détriment de toutes les personnes qui risquent véritablement leur vie à travers le monde pour défendre la cause des droits de l’homme et des libertés, ne peut être le fruit du hasard21.

De plus, cette distinction intervient alors que le gouvernement cubain a procédé à la libération de la quasi-totalité des prisonniers dits « politiques » recensés par Amnistie Internationale. Les treize restants, après la libération de 39 personnes depuis juillet 2010, seront libérés avant la fin du mois de novembre 2010, selon l’accord passé entre La Havane et l’Eglise catholique cubaine22. On ne peut que constater que la décision du Parlement repose surtout sur des critères idéologiques et jette une ombre sur la crédibilité des objectifs officiels du Prix Sakharov, à savoir la défense des droits de l’homme.

Certains parlementaires européens ont critiqué cette décision, prise en comité restreint à huis clos lors de la Conférence des Présidents, en non en séance plénière en présence de tous les députés. L’eurodéputé espagnol Willy Meyer du groupe Izquierda Unida a regretté « l’option idéologique [prise par le Parlement] qui n’a rien à voir avec la défense des droits de l’homme dans le monde entier, à une époque de guerres et de graves problèmes où des milliers de militants des droits humains sont poursuivis dans le monde, et que leur travail n’est pas reconnu ou est occulté23 ». De son côté, María Múñiz, porte-parole des socialistes espagnols à la Commission des Affaires étrangères du Parlement, a regretté que les autres candidats aient été négligés et que la « progressive libération des prisonniers cubains dissidents » n’ait pas été prise en compte24.

Conclusion

Guillermo Fariñas a choisi, comme les opposants cubains médiatisés par la presse occidentale, de vivre de l’activité dissidente, car elle offre des perspectives financières indéniables et un niveau de vie bien supérieur à celui des Cubains dans un contexte marqué par des difficultés économiques et les pénuries matérielles. Le Prix Sakharov n’est pas uniquement une distinction honorifique. Il s’agit également d’une forte rétribution économique de 50 000 euros. Cela représente une somme considérable, surtout pour les Cubains, quand on sait la réalité du système social dans l’île. En guise d’exemple, Fariñas n’a pas eu à débourser le moindre centime pour son hospitalisation de plusieurs mois, est propriétaire de son logement comme 85% des Cubains et bénéficie du carnet de rationnement qui lui permet d’obtenir gratuitement des produits alimentaires.

Guillermo Fariñas a parfaitement le droit d’exprimer ouvertement son désaccord avec un système politique qu’il a défendu jusqu’à l’âge de trente ans. Il ne doit pas être critiqué pour cela. Ses antécédents judiciaires ne doivent pas non plus être occultés. Néanmoins, il est difficile de croire, au vu des puissants intérêts politiques et médiatiques occidentaux qui le soutiennent, que son action est réellement indépendante et uniquement axée sur la question des droits de l’homme. En acceptant les émoluments de la part de Washington – qui finance publiquement les opposants cubains –, il se met au service d’une politique destinée à renverser le gouvernement cubain.

Notes

1 Parlement européen, « Gros plan sur les droits de l’homme : le Prix Sakharov 2010 », 21 octobre 2010. http://www.europarl.europa.eu/news/public/focus_page/015-84708-274-10-40-902-20101001FCS84570-01-10-2010-2010/default_p001c004_fr.htm (site consulté le 26 octobre 2010).

2 Ibid. ; EFE, « Fariñas, el rostro de la huelga de hambre or los presos políticos cubanos », 21 octobre 2010.

3 Associated Press, « EU Rights Prize for Cuban Dissident Farinas », 21 octobre 2010.

4 Parlement européen, « Gros plan sur les droits de l’homme : le Prix Sakharov 2010 », op. cit.

5 Ibid.

6 Alberto Núñez Betancourt, « Cuba no acepta presiones ni chantajes », Granma, 8 mars 2010.

7 Alberto Núñez Betancourt, « Cuba no acepta presiones ni chantajes », op. cit

8. EFE, « Fariñas, el rostro de la huelga de hambre or los presos políticos cubanos », op. cit.

9 Associated Press, « EU Rights Prize for Cuban Dissident Farinas », 21 octobre 2010.

10 Félix Rousseau, « Fariñas, épine dans le pied de Raúl Castro », Libération, 17 mars 2010.

11 Salim Lamrani, Cuba. Ce que les médias ne vous diront jamais. Paris, Editions Estrella, 2009, p. 79-105.

12 Along the Malecon, « Exclusive : Q & A with USAID », 25 octobre 2010. http://alongthemalecon.blogspot.com/2010/10/exclusive-q-with-usaid.html (site consulté le 26 octobre 2010).

13 Ibid.

14 Ibid.

15 59 segundos, « Cuba », 12 avril 2010. http://www.youtube.com/watch?v=RRxzicTmWz8 (site consulté le 26 octobre 2010).

16 Mauricio Vicent, « ‘Hay momentos en la historia en que tiene que haber mártires’ », El País, 2 mars 2010.

17 Reporters sans frontières, « Interview de guillermo Fariñas », 8 avril 2010. http://fr.rsf.org/interview-de-guillermo-farinas-08-04-2010,37147.html (site consulté le 26 octobre 2010)

18 Juan O. Tamayo, « Fariñas no acepta la oferta de recuperarse en España », 30 mars 2010.

19 Parlement européen, « Présentation des trois finalistes 2010 », 1er octobre 2010. http://www.europarl.europa.eu/news/public/focus_page/015-84708-274-10-40-902-20101001FCS84570-01-10-2010-2010/default_p001c003_fr.htm (site consulté le 26 octobre 2010).

20 Ibid.

21 Agence France Presse, « Los tres premios Sajarov de la oposición cubana », 21 octobre 2010.

22 EFE, « Damas instan al gobierno a cumplir plazo de excarcelaciones », 25 octobre 2010 : Andrea Rodriguez, « Anuncian liberación de presos no incluidos en acuerdo », 10 octobre 2010.

23 Willy Meyer, « El premio Sajarov queda hoy tocado del ala », Izquierda Unida, 21 octobre 2010. http://www1.izquierda-unida.es/node/7945 (site consulté le 27 octobre 2010).

24 Associated Press, « División de opiniones en España tras premio europeo a cubano Fariñas », 21 octobre 2010.

Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est enseignant chargé de cours à l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, et l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis et journaliste français, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Son nouvel ouvrage s’intitule Cuba. Ce que les médias ne vous diront jamais (Paris : Editions Estrella, 2009).