jeudi 6 janvier 2011

Talibans, femmes et propagande

Civilisation - Écrit par Arnaud Bihel - Mercredi, 11 Août 2010 16:13


Une jeune Afghane au nez tranché. Cette photo en couverture du magazine Time ranime le débat sur le conflit en Afghanistan. D'où il ressort que, décidément, guerre et propagande sont indissociables. Et que dans ce cas, les femmes sont en première ligne.



Après les milliers de documents dévoilés par le site WikiLeaks, la présence de la guerre en Afghanistan dans les médias américains était vite retombée (1). Mais la Une du prestigieux magazine Time, lundi 9 août, est venue créer une nouvelle polémique. Aux aspects bien différents, mais la question au centre des débats est la même : cette guerre est-elle utile ?

Les documents dévoilés par WikiLeaks avaient tendance à montrer le contraire : soutien aux talibans de membres des service secrets pakistanais, enlisement et bavures des troupes alliées de l'ISAF... des aspects disqualifiant l'efficacité de l'engagement dans le pays.

A l'inverse, la couverture "choc" du Times vient légitimer la présence américaine : « Ce qui arrivera si nous quittons l'Afghanistan », c'est la phrase qui accompagne la photo d'une jeune afghane au nez tranché. Une image « puissante, choquante et dérangeante », admet le directeur de la rédaction du magazine.


Dans l'article (à lire ici en anglais),Time raconte en détail l'histoire de cette jeune fille : « Les talibans ont frappé à la porte juste après minuit, réclamant qu'Aisha, 18 ans, soit punie pour s'être enfuie de chez son époux. Aisha s'est défendue : sa belle-famille la traitait comme une esclave ; ils la frappaient ; si elle n'avait pas fui, elle serait morte. Son juge, un commandant taliban local, est resté de marbre. Le beau-frère d'Aisha l'a mise à genoux tandis que son mari sortait un couteau. D'abord, il lui a coupé les oreilles. Puis le nez. »

Une histoire à rapprocher d'une autre, très médiatisée ces derniers jours : celle de Sanubar, une Afghane de 35 ans, veuve et enceinte, accusée d'adultère et exécutée en public de trois balles dans la tête dans un bastion taliban, dans l'ouest du pays.

Dans les deux cas, des officiels talibans ont nié être à l'origine de ces atrocités et dénoncé des opérations de propagande des médias occidentaux. Le site @rrêtsurimages signale par ailleurs que l'organisation « Women for Afghan Women », en relatant le 17 mars l'histoire d'Aisha, disait qu'elle avait été mutilée par son mari, un taliban. Mais pas de référence ici à un juge taliban qu'évoque Time.


Impossible de le nier : les femmes subissent l'influence des talibans en Afghanistan. Elles en sont même de plus en plus victimes, faisait remarquer le tout dernier rapport de l'ONU sur les victimes civiles dans le pays. Mais elles sont aussi des objets de propagande, aux mains de toutes les parties engagées dans le conflit afghan.

Et de fait, la couverture de Time a soulevé un vif débat. « Ceux opposés à la présence américaine en Afghanistan y voient du "chantage émotionnel", voire du "porno de guerre", tandis que ceux qui craignent les conséquences d'un abandon du pays y voient une puissante adresse à la conscience », résume un correspondant du New York Times à Kaboul. Et les critiques peuvent même provenir de féministes, pour qui utiliser la souffrance des femmes pour soutenir la guerre relève du cynisme, comme le note Rue89.

Où l'on revient à WikiLeaks. En mars dernier, le site publiait ce qu'il présente comme un document classifié de la CIA sur la façon de gagner le soutien du public en faveur de la guerre. Le sort des femmes figurait parmi ces stratégies : « Les femmes afghanes peuvent être des messagères idéales pour humaniser le rôle de l'ISAF face aux talibans, en raison de la capacité des femmes à parler de façon personnelle et crédible de leur expérience sous les talibans, de leurs aspirations et de leurs craintes. »

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