lundi 29 août 2011

La réforme du modèle économique cubain : Causes et perspectives 2/3

Salim Lamrani

Les facteurs internes

D’un point de vue national, plusieurs facteurs – dont une partie substantielle sont en lien direct avec l’état de siège imposé par les Etats-Unis – sont à mettre en exergue tels que la bureaucratie, la corruption au niveau intermédiaire – et parfois au plus haut niveau – de la structure étatique entrainant le renforcement du marché parallèle, le manque de débat critique, la faible productivité, l’hypertrophie du secteur public, la production insuffisante de matières premières alimentaires, la décapitalisation de l’industrie et de l’infrastructure productive, ainsi que le vieillissement de la population.

La bureaucratie

La bureaucratie est un réel problème à Cuba et affecte des pans entiers de la société. La presse cubaine, qui a longtemps éludé le sujet, n’hésite désormais plus à en dénoncer l’indolence, l’inefficacité et les dérives. Le principal quotidien du pays, Granma, porte-parole du Parti communiste, a virulemment stigmatisé le poids de la bureaucratie et exhorte à « un changement de mentalité » dans une chronique intitulée « Bureaucratisme, de règle à exception ». Selon l’article, « il y en a encore qui ferment les yeux face au nouveau scénario qui se met en place pour l’économie et la société ». Certains ont « la bureaucratie dans les veines, inoculée comme un virus mortel », alors que d’autres ne souhaitent pas que change « le système d’obstacle, de dilation, d’impunité et l’amende ou le bakchich pour qu’une démarche quelconque arrive à son terme ». Nombre de fonctionnaires « profitent de leurs huit heures quotidiennes de bourreaux rendant la vie impossible » aux citoyens. Granma appelle le gouvernement à mettre un terme à ce « fléau parasitaire au sein de l’administration publique », notamment pour l’application des nouvelles mesures d’élargissement du secteur privé[1].

Le quotidien Juventud Rebelde a également dénoncé une bureaucratie « aux méthodes autocratiques et verticalistes », insensible aux problèmes de la population. Le journal fustige son comportement « impardonnable et paradoxal », notamment en cette période de grands changements à Cuba. Cette dernière ne daigne même pas répondre aux courriers de la population dans plus de 30% des cas et refuse « d’évaluer les problèmes à la racine ». « Un autre élément préoccupant est l’impunité avec laquelle les lois, les normes et même les droits des citoyens sont transgressés, devant les yeux de supérieurs[2] ».

Alfredo Guevara, père du cinéma cubain et ami personnel de Fidel Castro, a approuvé la volonté de réforme du gouvernement et a appelé à mettre fin à l’étatisation outrancière de la société cubaine. « Nous sommes en train de vivre un processus de destruction de l’étatisation de la société et j’espère que nous aurons un Etat qui s’autolimite dans ses fonctions et qui permette à la société de se développer[3] ». Cela permettra d’atteindre « un niveau d’indépendance et de maturité qui sera un grand apport » pour le pays. Guevara a souvent dénoncé la bureaucratie cubaine « absurde et inefficace[4] » ainsi que le paternalisme contre-productif de l’Etat. D’après lui, « la bureaucratie est représentée par des dirigeants inutiles qui pensent que leur tâche consiste uniquement à donner des ordres. L’Etat, ce n’est pas la bureaucratie, mais évidemment un Etat disproportionné crée un phénomène idéologique bureaucratique[5] ».

Le président de la République Raúl Castro a mis en garde les partisans du statu quo, qui refusent le changement : « Nous serons à la fois patients et persévérants face aux résistances au changement, qu’elles soient conscientes ou inconscientes. J’avertis que toute résistance bureaucratique à l’accomplissement stricte des accords du Congrès, massivement soutenus par le peuple, sera inutile[6] ».

La corruption

La corruption est également un phénomène endémique à Cuba et gangrène les niveaux intermédiaires de la structure étatique, y compris les inspecteurs des impôts, et parfois la plus haute hiérarchie[7]. Le marché noir s’est substantiellement développé à Cuba depuis la chute de l’Union soviétique. Elle est principalement due à l’insuffisance du revenu mensuel. Raúl Castro l’a d’ailleurs reconnu sans ambages : « Le salaire est encore clairement insuffisant pour satisfaire tous les besoins, et il a pratiquement cessé de remplir son rôle d’assurer le principe socialiste selon lequel chacun apporte selon sa capacité et reçoit selon son travail. Cela a favorisé des manifestations d’indiscipline sociale[8] ». Or, toute augmentation du traitement mensuel ne peut survenir qu’en parallèle à une augmentation de la production, laquelle génèrera plus de revenus.

Une étude réalisée en 2005, à la demande expresse de Fidel Castro, avait révélé l’ampleur du vol de combustible dans les 2 000 stations à essence du pays. Durant quarante-cinq jours, les employés de ces points de vente avaient été remplacés par des travailleurs sociaux et renvoyés chez eux, avec le maintien intégral de leur salaire. Le premier rapport rendu public avait montré que plus de 50% de l’essence était détourné. En effet, les revenus quotidiens générés par les 2 000 points de ventes avaient augmenté de 100 000 dollars, soit une croissance de 115% par rapport à la situation antérieure. Dans la province de Santiago de Cuba, les revenus avaient explosé de 553%, illustrant ainsi le fait que plus de 80% du combustible était dérobé à l’Etat et revendu dans l’économie souterraine[9]. Un détournement d’une telle ampleur ne peut être effectué sans la complicité active de hauts-fonctionnaires occupant des postes à responsabilité. Par le passé, plusieurs ministres ont été destitués, traduits en justice et condamnées à de lourdes peines de prison pour corruption et détournements de fonds[10]. Récemment trois ministres ont été limogés pour diverses raisons[11]. Face à ce constat alarmant, Fidel Castro avait mis en garde contre un effondrement total du système : « Ce pays peut s’autodétruire lui-même ; cette Révolution peut s’autodétruire […], nous pouvons la détruire, et ce serait notre faute[12] ».

Raúl Castro, conscient que la corruption n’épargne pas les hauts-fonctionnaires, a envoyé un message clair aux responsables de tous les secteurs : « Il faut mettre un terme définitif au mensonge et à la tromperie dans la conduite des cadres, de tout niveau ». De manière plus insolite, il s’est appuyé sur deux des dix commandements bibliques pour illustrer son propos : « Tu ne voleras point » et « tu ne mentiras point ». De la même manière, il a évoqué les trois principes éthiques et moraux de la civilisation Inca : « ne pas mentir, ne pas voler, ne pas être paresseux », lesquels doivent guider la conduite de tous les responsables de la nation[13]. En effet, le marché noir est alimenté par le détournement massif de marchandises importées par l’Etat et implique forcément de hauts dirigeants. Raúl Castro a été explicite à ce sujet : « Face aux violations de la Constitution et de la légalité établie, il n’y a d’autres alternatives que de recourir au Procureur et aux Tribunaux, comme nous avons déjà commencé à le faire, pour exiger des responsabilités aux contrevenants, quels qu’ils soient, car tous les Cubains, sans exception, sommes égaux devant la loi[14] ».

Gladys Berejano, vice-présidente du Conseil d’Etat et responsable de la lutte anticorruption du gouvernement cubain, a reconnu que le combat contre les malversations restait un défi majeur et l’une des grandes priorités nationales. Selon un récent audit réalisé en 2011, à peine 46% des entités publiques évaluées à Cuba présentaient un bilan acceptable. Dans le reste des agences et entreprises d’Etat, les administrateurs ont falsifié les livres de comptes afin de détourner des articles vers le marché noir, avec la complicité des experts-comptables chargés d’évaluer la santé financière de la structure[15].

L’affaire Esteban Morales est édifiante dans la mesure où elle permet de faire la lumière sur la lutte entre les forces obscures et conservatrices toujours présentes au sein du Parti Communiste Cubain et ses secteurs plus critiques et progressistes. Dans un article publié sur le site Internet de l’Union nationale des écrivains et artistes de Cuba (UNEAC), Esteban Morales, économiste et membre du Parti communiste cubain à la réputation honorable, spécialiste de la question du racisme et des relations avec les Etats-Unis, avait mis en garde en avril 2011 contre le principal danger qui menaçait le processus révolutionnaire cubain : la corruption. Il avait dénoncé l’enrichissement illicite de certains haut-fonctionnaires et membres du gouvernement sans citer de noms, les accusant de préparer le transfert des biens publics entre des mains privées, en cas de chute du régime, dans un processus similaire à ce qui s’était passée dans l’ex Union Soviétique. « Il est indéniable que la contrerévolution prend peu à peu des positions à certains niveaux de l’Etat et du gouvernement ». Il avait cité en exemple la distribution récente de terres en usufruit et les nombreux cas de « fraudes, illégalités, favoritismes, lenteur bureaucratiques » qui se sont ensuivis, ainsi que d’autres cas de hauts-fonctionnaires qui se sont rendus coupables de détournements de fonds et ont ouvert des comptes bancaires à l’étranger[16].

Suite à la publication de cette réflexion sévère et implacable sur la forme mais fondamentalement avérée, Morales a été exclu du Parti Communiste Cubain et son article retiré du site de l’UNEAC. Néanmoins, face au large soutien dont il a bénéficié parmi les membres du Parti – y compris celui de Raúl Castro –, la Commission d’Appel du Comité Central a désavoué la décision prise en première instance et a réintégré Morales dans ses fonctions[17].

La culture du débat

L’absence d’une véritable culture du débat critique à Cuba constitue un frein au développement de la nation. Les plus hauts dirigeants sont conscients cette réalité. Ainsi, Fidel Castro regrette l’unanimité de façade trop souvent présentée, notamment dans la presse cubaine :

Pendant longtemps on a eu tendance ici à supposer que les remarques critiques, la dénonciation de ce qui n’allait pas faisaient le jeu de l’ennemi, aidaient la contre-révolution. Certains ont peur parfois d’informer sur quelque chose en pensant que cela pourrait servir à l’ennemi. Or nous savons pertinemment que le travail des médias est très important dans la lutte contre les faits négatifs. C’est pourquoi nous avons encouragé à l’esprit critique. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’il était nécessaire de développer bien davantage l’esprit critique[18].

Raúl Castro a également fustigé les non-dits, la complaisance et la médiocrité. Il a appelé à plus de franchise. « Il ne faut pas craindre les divergences de critères […], les différences d’opinions […], qui seront toujours préférables à la fausse unanimité basée sur la simulation et l’opportunisme. Il s’agit de surcroit d’un droit dont personne ne doit être privé ». Castro a dénoncé l’excès de la « culture du secret à laquelle nous nous sommes habitués durant plus de cinquante ans » pour occulter les erreurs, les défaillances et les manquements. « Il est nécessaire de changer la mentalité des cadres et de tous nos compatriotes[19] », a-t-il ajouté, en proposant de limiter à 10 ans les mandats politiques « afin d’assurer un rajeunissement systématique de toute la chaîne de responsabilité[20] ». A destination des médias, il a tenu les propos suivants :

Notre presse parle assez de cela, des conquêtes de la Révolution, et nous en faisons autant dans les discours. Mais il faut aller au cœur des problèmes […]. Je suis un défenseur à outrance de la fin de la culture du secret car derrière ce tapis doré se cachent nos manquements et ceux qui ont intérêt à ce que rien ne change. Je me souviens de quelques critiques apparues dans la presse il y quelques années avec mon soutien [...]. Immédiatement, la grande bureaucratie s’est mise en branle et a commencé à protester : « Ces choses n’aident pas et démoralisent les travailleurs ». Quels travailleurs vont être démoralisés ? De même, dans une grande entreprise laitière de l’Etat de Camagüey, Le Triangle, pendant des semaines, on donnait le lait produit à des cochons du coin car le camion citerne était en panne. J’ai alors demandé à un secrétaire du Comité Central de dénoncer cela dans Granma. Certains sont venus me voir pour me dire que ce genre de critiques était contreproductif car cela démoralisait les travailleurs, etc. Mais, ce qu’ils ne savaient pas, c’est que j’en étais à l’origine[21].

Le 1er août 2011, lors de son discours de clôture de la VIIe Législature du Parlement Cubain, Raúl Casto a réitéré la nécessité du débat critique et contradictoire au sein d’une société : « Toutes les opinions doivent être analysées, et quand il n’y a pas consensus, les divergences seront portées auprès des instances supérieures habilitées à prendre une décision ; de plus, personne ne dispose des prérogatives pour l’empêcher[22] ». Il a appelé à mettre fin « à l’habitude du triomphalisme, de l’autosatisfaction et du formalisme dans le traitement de l’actualité nationale et à générer des matériaux écrits et des programmes de télévision et de radio qui par leur contenu et leur style captent l’attention et stimulent le débat au sein de l’opinion publique », afin d’éviter les matériaux « ennuyeux, improvisés et superficiels » au sein des médias[23].

Granma a également fustigé la culture du secret de la part des fonctionnaires qui empêchent la presse cubaine d’informer correctement la population. Ainsi, la collecte d’information devient un véritable parcours du combattant dans un labyrinthe bureaucratique où les autorisations pour tout reportage sont nécessaires. Le quotidien dénonce « l’incompréhension de nombreux fonctionnaires administratifs qui semblent vivre insensibles au droit des citoyens et à l’irritation que cause à la population le fait de ne pas expliquer à temps les raisons d’un phénomène ou d’une mesure ». Les obstacles sciemment érigés dans l’accès à l’information violent « les principes démocratiques » établies par la Constitution de la République. « Offrir une information systématique, véritable, diverse, qui permette d’aborder la réalité dans toute sa complexité, ne constitue pas une faveur mais un droit du peuple », conclut le journal[24].

Le sectarisme

A Cuba, certaines pratiques discriminatoires sont toujours persistantes au plus haut niveau de l’appareil étatique, malgré les efforts déployés par le président de la République lui-même pour y mettre un terme. Raúl Castro a ainsi publiquement dénoncé à la télévision certaines atteintes à la liberté religieuse dues à l’intolérance « encore enracinée dans la mentalité de nombreux dirigeants à tous les niveaux ». Il a évoqué le cas d’une femme, cadre du Parti communiste, au parcours exemplaire, qui a été écartée de ses fonctions, en février 2011, en raison de sa foi chrétienne et dont le salaire a été réduit de 40%, en violation de l’article 43 de la Constitution de 1976 qui interdit tout type de discrimination. Le président de la République a ainsi dénoncé « le mal occasionné à une famille cubaine par des attitudes basées sur une mentalité archaïque, alimentée par la simulation et l’opportunisme ». Rappelant que la personne victime de cette discrimination était née en 1953, date de l’attaque de la caserne Moncada par les partisans de Fidel Castro contre la dictature de Fulgencio Batista, Raúl Castro a tenu les propos suivants :

Je ne suis pas allé au Moncada pour ça […]. J’ai évoqué cette affaire lors de la réunion du 30 juillet, qui marquait également le 54ème anniversaire de l’assassinat de Frank País et de son fidèle compagnon Raúl Pujol. J’ai connu Frank au Mexique, je l’ai revu dans la Sierra, et je ne me souviens pas avoir connu une âme aussi pure que la sienne, aussi courageuse, aussi révolutionnaire, aussi noble et modeste, et m’adressant à l’un des responsables de cette injustice qui a été commise, je lui ai dit : Frank croyait en Dieu et pratiquait sa religion, que je sache il n’avait jamais cessé de la pratiquer, qu’auriez-vous fait de Frank País[25] ?

Pourtant, les relations avec l’Eglise catholique romaine n’ont jamais été aussi bonnes depuis le triomphe de la révolution en 1959. Le scénario de confrontation avec les institutions religieuses a peu à peu laissé place au dialogue, limant ainsi les aspérités du passé où « les deux parties ont fait preuve d’excès ». Raúl Castro a ainsi virulemment condamné ces pratiques « qui portent atteinte à notre principal arme pour préserver l’indépendance et la souveraineté nationale, c’est-à-dire, l’Unité de la Nation ». Selon lui, il est urgent de briser « la barrière psychologique formée par l’inertie, l’immobilisme, la simulation ou la double morale et l’insensibilité » qui conduit à tout type d’abus. « Notre pire ennemi n’est pas l’impérialisme et encore moins ses salariés présents sur notre sol, mais nos propres erreurs. Si elles sont analysées en profondeur et avec honnêteté, elles se transformeront en leçons[26] ».

Une productivité faible

La productivité est également un problème endémique dans une société habituée à recevoir la même rémunération quelle que soit la qualité et la quantité du travail fourni. Les employés du secteur public ne s’intéressent guère aux problématiques de productivité et d’efficience. Il y en en effet « une absence de culture économique chez la population ». Par ailleurs, la soviétisation de l’économie cubaine à partir de 1968, avec la nationalisation de tous les petits commerces, a eu des conséquences désastreuses pour le pays en termes de rendement. Au lieu d’adapter la politique économique aux particularités nationales, Cuba avait suivi par mimétisme le modèle russe. Raúl Castro admet désormais l’erreur dictée à la fois par l’inexpérience de la direction de la nation et par le contexte géopolitique de l’époque : « Nous ne pensons pas copier de nouveau quelqu’un, car cela nous a causé de nombreux problèmes par le passé et, par-dessus le marché, nous avions mal copié[27] ». Le gouvernement cubain est lucide au sujet de ses manquements en matière économique. Il reconnaît que « la spontanéité, l’improvisation, la superficialité, le non-accomplissement des objectifs, le manque de profondeur dans les études de faisabilité et le manque de vision intégrale pour entreprendre un investissement » portent un grave préjudice à la nation[28].

Cuba dispose de terres extraordinairement fertiles et pourrait être un exportateur de matières premières alimentaires. Au lieu de cela, Cuba importe 83% des produits alimentaires qu’elle consomme. Par exemple, Cuba importe chaque année 47 millions de dollars de café alors qu’il serait parfaitement possible d’en produire à Cuba d’une excellente qualité. En 1975, le Vietnam, au sortir de la guerre, avait sollicité l’aide cubaine pour produire du café. Le Vietnam est désormais le second exportateur de café au monde…grâce à l’expérience et au savoir-faire cubains. Un diplomate vietnamien a fait part de sa surprise à son homologue cubain face à cette contradiction : « Comment est-il possible que vous nous achetiez du café alors que vous nous avez appris à le semer[29] ? ». Il y a une raison à cela : Sur les 6,6 millions d’hectares de surface agricole, 3,6 millions restaient en jachère ou sous-exploités en 2008[30].

La politique agricole du gouvernement révolutionnaire a ainsi été l’un de ses plus graves échecs. Plusieurs facteurs permettent d’expliquer cette dépendance stratégiquement dangereuse. Tout d’abord, le métier de la terre est par définition un travail difficile et ingrat, surtout dans une société qui a atteint un niveau de développement humain sans précédant dans l’histoire de l’Amérique latine et du Tiers-monde. Il est en effet difficile de convaincre des citoyens ayant obtenu des diplômes universitaires d’aller produire du café ou du blé pour obtenir, de toute façon, le même salaire qu’un employé de bureau. Pour cela, il est indispensable « que les agriculteurs obtiennent des revenus justes et raisonnables pour leur dur labeur[31] », comme l’a rappelé le président cubain. Ainsi, depuis 2008, sur un fonds disponible de 1,8 millions d’hectares de terres non cultivées, plus d’un million a été concédé – pour des surfaces allant de 13 à 40 hectares – en usufruit gratuit pour une période de 10 ans pour les particuliers et de 25 ans pour les coopératives. De la même manière, le gouvernement a décidé de baisser de 60% le prix du matériel et des produits agricoles afin d’inciter la population à investir ce domaine[32].

L’hypertrophie du secteur public et la faiblesse de l’infrastructure productive

L’hypertrophie du secteur public est une réalité indéniable. En effet, l’Etat emploie près de 84% de la population active, qui s’élève à 5,2 millions de personnes. La fonction publique se charge de fournir un emploi aux Cubains, même si certains secteurs sont saturés. Le suremploi permet d’obtenir une certaine stabilité sociale mais près d’un million d’emplois sont considérés comme peu ou pas productifs[33].

La décapitalisation de l’industrie et de l’infrastructure productive constitue un sérieux obstacle économique. Cuba a un besoin urgent de nouveaux investissements, notamment en capitaux étrangers. Néanmoins, les menaces de sanctions en provenance des Etats-Unis freinent les potentiels investisseurs[34].

Une transition démographique avancée

Cuba se trouve enfin à stade de transition démographique avancée, tout comme des pays tels que l’Argentine, l’Uruguay ou le Chili, en raison de son indice de développement humain élevée. Le pays est donc confrontée au vieillissement de sa population, dont l’espérance de vie est de près de 80 ans. Selon le Bureau national des statistiques (ONE), près de deux millions de personnes ont plus de 60 ans, soit 17,8% de la population du pays. Dans vingt ans, le chiffre passera à 30%[35]. Cuba compte actuellement 1 551 centenaires et doit faire face non seulement au problème du financement des retraites – l’âge de départ est passé de 55 ans à 60 ans pour les femmes et de 60 ans à 65 ans pour les hommes en 2009 –, mais également au danger de non-renouvellement générationnel qui affecte l’économie et la société. En effet, le nombre d’habitants a diminué en 2010 en raison du faible taux de natalité[36].

A suivre :

-« Les mesures économiques et sociales ».

Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est enseignant chargé de cours à l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, et l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.

Son dernier ouvrage s’intitule Etat de siège. Les sanctions économiques des Etats-Unis contre Cuba, Paris, Editions Estrella, 2011, avec un prologue de Wayne S. Smith et une préface de Paul Estrade.

Contacto: Salim.Lamrani@univ-mlv.fr ; lamranisalim@yahoo.fr



[1] Félix López, « Burocratismo, de regla a excepción », Granma, 29 janvier 2011 ; EFE, « Diario oficial arremete contra burócratas », 29 janvier 2011

[2] José Alejandro Rodríguez, « Menos respuestas cuando más se necesitan », Juventud Rebelde, 6 juillet 2011.

[3] Agence France Presse, « Figura histórica del castrismo aplaude la ‘desestatización », 23 novembre 2010.

[4] Agence France Presse, « Transición del ‘disparate’ al socialismo, dice Guevara », 24 juin 2011

[5] Agence France Presse, « Figura histórica del castrismo aplaude la ‘desestatización », op. cit.

[6] Raúl Castro, « Toda resistencia burocrática al estricto cumplimiento de los acuerdos del Congreso, respaldados másivamente por el pueblo, será inútil », Cubadebate, 1er août 2011.

[7] Agence France Presse, « Fisco cubano combatirá corrupción de inspectores », 26 juillet 2011.

[8] Raúl Castro Ruz, « Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010, “Año 52 de la Revolución” », op. cit.

[9] Andrea Rodriguez, « Castro revela cifras de robo de combustible en Cuba », Associated Press, 7 décembre 2005.

[10] Esteban Morales, « Corrupción: ¿La verdadera contrarrevolución? », Progreso Semanal, 20 avril 2010 ; Mauricio Vicent, « Corrupción al modo cubano », El País, 16 mai 2010 ; Agence France Presse, « Cuba condena a veinte años de cárcel a empresario chileno Max Marambio », 5 mai 2011.

[11] Raúl Castro, « Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010, “Año 52 de la Revolución” », op.cit., Granma, « Electa Teresita Romero vicepresidenta de la Asamblea Provincial del Poder Popular en Sancti Spíritu », 2 avril 2011 ; EFE, « Destituciones por corrupción en gobierno de Sancti Spíritu », 2 avril 2011.

[12] Fidel Castro Ruz, « Discurso pronunciado por Fidel Castro Ruz, Presidente de la República de Cuba, en el acto por el aniversario 60 de su ingreso a la universidad, efectuado en el Aula Magna de la Universidad de La Habana », 17 novembre 2005. http://www.cuba.cu/gobierno/discursos/2005/esp/f171105e.html (site consulté le 2 avril 2011).

[13] Raúl Castro, « Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010, “Año 52 de la Revolución” », op.cit.

[14] Raúl Castro, « Toda resistencia burocrática al estricto cumplimiento de los acuerdos del Congreso, respaldados másivamente por el pueblo, será inútil », Cubadebate, 1er août 2011.

[15] Juan O. Tamayo, « Régimen cubano reconoce aumento de corrupción », 22 juin 2011.

[16]Esteban Morales, « Corrupción : ¿la verdadera contrarrevolución », Unión Nacional de Escritores y Artistas de Cuba, 8 avril 2011. http://www.uneac.org.cu/index.php?module=noticias&act=detalle&tipo=noticia&id=3123 (site consulté le 11 août 2011).

[17] Andrea Rodriguez, « Cuba : comunistas reincorporan a académico expulsado por críticas », The Associated Press, 8 juillet 2011.

[18] Ignacio Ramonet, Fidel Castro. Biographie à deux voix, Paris, Fayard/Galilée, 2007, p. 516.

[19] Raúl Castro, « Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010, “Año 52 de la Revolución” », op.cit.

[20] Raúl Castro, « Texto íntegro del Informe Central al VI Congreso del PCC », 16 avril 2011. http://www.cuba.cu/gobierno/rauldiscursos/2011/esp/r160411e.html (site consulté le 3 juin 2011).

[21] Raúl Castro, « Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010, “Año 52 de la Revolución” », op.cit.

[22] Raúl Castro, « Toda resistencia burocrática al estricto cumplimiento de los acuerdos del Congreso, respaldados másivamente por el pueblo, será inútil », Cubadebate, 1er août 2011.

[23] Raúl Castro, « Texto íntegro del Informe Central al VI Congreso del PCC », 16 de abril de 2011. http://www.cubadebate.cu/opinion/2011/04/16/texto-integro-del-informe-central-al-vi-congreso-del-pcc/ (site consulté le 20 avril 2011).

[24] Anneris Ivette Leyva, « El derecho a la información », Granma, 8 juillet 2011.

[25] Raúl Castro, « Toda resistencia burocrática al estricto cumplimiento de los acuerdos del Congreso, respaldados másivamente por el pueblo, será inútil », Cubadebate, 1er août 2011.

[26] Ibid.

[27] Raúl Castro, « Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010, “Año 52 de la Revolución” », op.cit.

[28] Partido Comunista de Cuba, « Resolución sobre los lineamientos de la política económica y social del partido y la Revolución », op. cit.

[29] Raúl Castro, « Discurso pronunciado por el General de Ejército Raúl Castro Ruz, Presidente de los Consejos de Estado y de Ministros, en la clausura del Sexto Período Ordinario de Sesiones de la Séptima Legislatura de la Asamblea Nacional del Poder Popular, en el Palacio de Convenciones, el 18 de diciembre de 2010, “Año 52 de la Revolución” », op.cit.

[30] Andrea Rodriguez, « Rebajan precios de insumos agrícolas en Cuba », The Associated Press, 5 août 2011. Voir également le témoignage d’un agriculteur : Ventura de Jesús, « Un buen agricultor suburbano », Granma, 21 mai 2011.

Aucun commentaire: