mardi 26 mars 2013

Encore moins d’autochtones dans les universités québécoises



Par Adrien Welsh

L’indexation, soit une nouvelle hausse des frais de scolarité, comme toute mesure s’attaquant aux progrès sociaux, trouve ses premières victimes au sein des groupes marginalisés. La question de la hausse et de ses impacts sur certains d’entre eux, notamment les femmes, les ouvriers, les précaires, a été assez bien décrite. Cependant, on n’a que peu fait état de ses conséquences au sein des communautés autochtones. Pourtant, la situation, déjà alarmante, aurait dû être soulevée de longue date, d’autant plus que lors des différentes manifestations, on a pu à plusieurs reprises apercevoir des groupes autochtones arborer le carré rouge et marcher aux côtés des étudiant(e)s.

En effet, selon les recherches de Richard Desjardins et Robert Monderie présentées dans le documentaire Le peuple invisible, si l’ensemble des communautés autochtones  du Canada constituaient un pays, celui-ci se classerait au 63e rang mondial en termes de niveau de vie, tout juste à côté du Ghana et du Congo, «mais les Indiens ont pas droit à l’aide internationale canadienne», de conclure cyniquement M. Desjardins. De plus, l’espérance de vie chez les autochtones est de sept ans inférieure à celle calculée chez les autres Canadien(ne)s. On constate aussi qu’en vertu du régime spécial de la Loi sur les Indiens - loi qui a par ailleurs inspiré le régime de l’Apartheid en Afrique du Sud -, ces derniers ne peuvent se prévaloir de la Charte canadienne des Droits et Libertés, ni contracter un prêt de la part d’aucune institution financière. Ils sont donc condamnés à vivre sous la tutelle d’Ottawa et sous le joug des Conseils de bande, institution misogyne au pouvoir excessif en ce qui a trait à la vie privée, mais avec un pouvoir politique souvent moindre que celui des municipalités.

Au Canada, la proportion d’autochtones détenteurs d’un diplôme universitaire est de 8%, contre 23% pour les «autres», c’est-à-dire près de trois fois moindre. Or, il a été établi par une étude de 2009 publiée par le Centre d’étude des niveaux de vie que combler le retard dont sont victimes des Premières nations permettrait d’augmenter de 179 milliards de dollars le PIB canadien en vingt ans. 

Maintenant, il reste à comprendre pourquoi un tel écart existe-t-il entre les deux populations. Le noeud du problème constitue bien sûr les conditions de vies précaires présentes dans les réserves autochtones qui ne permettent généralement pas aux étudiant(e)s autochtones de bénéficier de soutien familial. Pour contrecarrer cette lacune, le gouvernement fédéral est obligé par traité de fournir un soutien financier aux jeunes autochtones voulant poursuivre leurs études post-secondaires. Jusqu’en 1992, il s’agissait d’une aide calculée selon le nombre d’étudiant(e)s admis et la somme à débourser afin de subvenir à la vie estudiantine, soit couvrir les frais de subsistance, droits de scolarité, livres, matériel scolaire, déplacements, etc. Après 1992, au lieu de bénéficier de subventions calculées en fonction des coûts réels, les étudiant(e)s membres inscrits des Premières nations ont dû se résoudre à se partager une enveloppe globale dont, depuis 1997, l’augmentation a été plafonnée à 2%, et ce, malgré que les frais de scolarité augmentent en moyenne de 7% annuellement au Canada. Ainsi, les différents Conseils de bande se sont retrouvés avec un même montant d’argent à partager entre moins de jeunes. A titre d’exemple, entre 2001 et 2006, selon la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants, plus de 10 500 étudiant(e)s autochtones n’ont pu recourir aux subventions fédérales.

En conséquence, avant la mise en place du plafonnement de l’enveloppe globale ils étaient 27 000 étudiantes et étudiants autochtones à bénéficier de l’aide fédérale contre 22 000 en 2006, et ce, malgré une croissance démographique soutenue (on estime qu’au Québec seulement, la population autochtone a crû de 39,4% entre 2001 et 2006, alors que le taux de croissance se situe à 4% pour le reste de la population québécoise). Pourtant, il a été prouvé que la majorité des étudiant(e)s autochtones quittent les universités diplômés et retournent dans leur communauté d’origine où ils occupent un emploi lié à leur domaine de formation et où ils participent pleinement au développement social et économique.

Les statistiques prouvent aussi que les étudiant(e)s issus des Premières nations fréquentent les établissements d’enseignement supérieur généralement à un âge plus élevé, ce qui augmente l’éventualité que leur incombent des responsabilités autres que celles liées à la vie universitaire, comme celle de soutien de famille. Cette situation est d’autant plus criante chez les femmes autochtones, qui sont, selon l’organisme Femmes autochtones du Québec, plus susceptibles de reprendre leurs études plus tard que les hommes autochtones en plus de souvent devoir s’acquitter du rôle de mère de famille.

Un autre problème quant à l’accessibilité à l’éducation chez les jeunes autochtones réside dans les lacunes du régime légal auquel ils sont soumis par Ottawa depuis 1951, la Loi sur les Indiens. Selon cette loi, sont «Indiens» seulement les individus qui résident sur une réserve. Ainsi, tous les autochtones établis dans les centres urbains ou ailleurs au pays ne peuvent se prévaloir des avantages fiscaux attribués aux autochtones en réserve, et ce, malgré un salaire moyen tournant autour de 75% du salaire moyen canadien.

C’est donc dans ce contexte que survient la hausse de 75% des droits de scolarité décrétée par Québec, hausse que certainement très peu d’étudiant(e)s autochtones seront en mesure d’endosser et qui réduira encore plus le nombre d’étudiant(e)s bénéficiant de l’aide fédérale. Certes, il s’agit ici de compétences incombant à deux paliers de gouvernement différents. Or, il ne s’agit pas de deux vases clos: il existe au sein du gouvernement du Québec un Secrétariat aux affaires autochtones, qui aurait pu et dû soulever ce problème lors du décret de la hausse des droits de scolarité. Dans le même ordre d’idées, le gouvernement fédéral pourrait, en économisant le coût d’un seul F-35, endosser les dettes de tous les étudiants dans l’ensemble du pays. Mais au lieu de se soucier d’une répartition équitable de la richesse, le gouvernement fédéral préfère parer des attaques contre des pays comme la Syrie et l’Iran pour s’assurer de l’hégémonie occidentale sur le Moyen-Orient, tandis que Québec préfère financer des multinationales pour exploiter les ressources minières du Nord de la province.

Ironie du sort: le Plan Nord est généralement présenté comme une opportunité de développement et d’emploi pour les communautés autochtones, les différentes universités québécoises se targuent même de pouvoir offrir des services adaptés aux étudiant(e)s membres des Premières nations. Or, comme l’affirmaient Hugo Asselin et Suzy Basile dans une lettre publiée au journal Le Devoir, tout ça sera «peine perdue si les principaux intéressés ne peuvent plus se permettre de fréquenter l’université...»

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