vendredi 11 juillet 2014

Colombie: pas de chèque en blanc pour Santos

Par Nyanankoro Coulibaly

Dans notre dernière édition, un article était consacré à la Colombie, au processus de paix et au maire de Bogotá, Gustavo Petro, destitué en décembre 2013. Nous tenons, à la suite des élections présidentielles de juin dernier, à suivre ce dossier et à transmettre les analyses des progressistes colombiens sur le sujet. 

Lors des dernières élections législatives, le camp des «uribistes» semblait en bonne posture pour remporter les présidentielles, ce qui a été corroboré par le résultat obtenu au premier tour des dernières élections présidentielles où son dauphin, Oscar Iván Zuluaga, l’emporte avec 500 mille voix contre le président sortant Juan Manuel Santos. Cependant, au second tour, c’est ce dernier qui remporte le scrutin avec une avance d’environ 900 mille voix, soit avec 51% des suffrages exprimés.

La gauche, quant à elle, s’en est tiré avec 15,3% des suffrages pour les candidates Clara López et Aida Avella (nouvelle présidente de l’Union patriotique).

Il reste qu’à l’image des autres scrutins, les Colombiens se sont largement abstenus (52% d’abstentions et 4% de votes blancs), lançant un message fort quant à la légitimité du système électoral dans ce pays.

Les communistes, pour leur part, analysent ces résultats de façon très prudente. S’ils voient d’un bon oeil la défaite de Zuluaga, opposé aux pourparlers de paix entre les FARC-EP et Bogotá, ils demeurent acerbes et critiquent avec véhémence les politiques de Santos reconnu, entre autres, pour son affirmation désormais célèbre à l’encontre de la grève nationale agraire: «cette grève n’existe pas», témoignant de son intransigeance devant les demandes des mouvements sociaux.

 Effectivement, Zuluaga, après avoir reconnu sa défaite, a prononcé un discours dans lequel il affirmait qu’aucune paix n’est possible tant que les groupes armés (FARC-EP et l’ELN) ne seront pas désarmés, incitant à l’arrestation des chefs militaires. L’ancien président Uribe, mentor de Zuluaga - connu pour ses politiques bellicistes et son financement de groupes paramilitaires contre les FARC-EP et l’ELN, attisant le climat de guerre civile dans le pays - n’a tout simplement pas reconnu la victoire de Santos, affirmant qu’«au nom de la paix», la «plus grande corruption de l’histoire» a été organisée. Il prétend même que dans certaines régions, des commandos d’insurgés auraient pris la population en otage et l’auraient forcée à voter pour Santos.

Lors de son mandat présidentiel, Santos n’a pas su répondre aux demandes sociales des Colombiens: la plupart d’entre elles ayant été matées militairement. Il ne représentait donc pas le candidat favori de la gauche, et encore moins celui des communistes.

Son seul capital politique lors de la dernière élection présidentielle a été de s’engager dans les pourparlers de paix organisés, rappelons-le, sous l’égide de Cuba socialiste. Il n’est donc pas étonnant que la population colombienne, victime depuis 1948 et l’épisode de la violencia qui suit les différentes luttes sociales des années 1920 - 1930 notamment contre la United Fruit Company, d’une guerre civile qui a pris des proportions démesurées, se soit prononcée en faveur de Santos.

L’alliance électorale progressiste recréée en 2013 à l’initiative entre autres des communistes après le génocide de 1986, l’Union patriotique (UP), a, lors de son plénium du 5 juin dernier, analysé la stratégie politique à adopter notamment concernant la participation à un front élargi pour la paix.

 Pour les communistes, ce Front élargi pour la paix, créé autour de Gustavo Petro Urriego, le maire déchu de Bogotá, et d’autres figures, ne doit pas être à la traine du gouvernement Santos. Rappelons qu’il ne rallie pas seulement la gauche mais aussi des libéraux et des centristes opposés à la guerre civile qui mine le pays.

 Comme l’ont indiqué clairement les communistes et les membres de l’UP, le gouvernement pourra compter sur l’appui des progressistes quant aux pourparlers de paix de La Havane et pour le début de négociation avec l’ELN, mais il est hors de question de soutenir les politiques sociales et économiques de ce gouvernement au nom de «l’unité nationale». Tel que réitéré lors du dernier plénium, sa base sociale se situe dans les mobilisations sociales.

Ainsi, le Front élargi pour la paix ne saurait être une organisation à la traine du gouvernement Santos. Au contraire, selon l’UP, il ne fait aucun doute qu’il doit «tourner à gauche». Sa constitution - tant à l’échelle régionale que nationale - doit permettre un débat politique et représenter un vecteur d’unité, gage de plus amples mobilisations.

En effet, pour les communistes, la paix ne sera pas gagnée à coups de décrets. Comme l’exprime Aida Avella, le processus de dialogue entre les FARC et le gouvernement ainsi que les premières rencontres avec l’ELN représentent un premier pas vers la pacification du pays; mais elle est indissociable des réformes sociales exigées par la gauche dont une réforme agraire et la participation politique des guérilleros.

Il reste que l’élection de Santos assure les progressistes de la poursuite des négociations de paix de La Havane, ce qui leur permet de se concentrer sur l’approfondissement du processus de paix et sur les problèmes sociaux. Rien n’est gagné pour autant: il y a fort à parier que le gouvernement Santos sera plus enclin à faire des concessions à l’opposition de droite qu’à la gauche.

Ce n’est donc pas sa victoire qu’il faut souligner mais bien la défaite, une deuxième fois de suite, d’Uribe à travers son candidat Zuluaga. D’une part le processus de paix continuera son chemin et les accords conclus avec les FARC notamment sur la question de la réforme agraire et de la participation politique ne sont pas caducs. D’autre part, la droite continentale - que nous avons pu voir à l’oeuvre au Venezuela - et ses alliés impérialistes nord-américains ne pourront compter sur la Colombie pour contrer les gouvernements progressistes de la région, en premier lieu ceux de l’Équateur et du Venezuela.

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